J'ai déjà eu l'occasion, dans plusieurs posts précédents, de dire mon enthousiasme pour le site "Bide et Musique", que j'avais découvert à l'occasion d'une recherche sur Yvette Horner ; j'ai essayé d'en donner les raisons et, chemin faisant, de vous faire partager mon plaisir en commençant à explorer "le p'tit bal de B et M", territoire dédié à l'accordéon, soit purement instrumental, soit accompagné de paroles.
A toutes fins utiles, je rappelle l'adresse de "Bide et Musique". A chacun de se concocter son propre programme en fonction de son humeur du moment, de son esprit d'aventure ou de sa culture bidesque. Ou encore de sa bidophilie, voire de sa bidomania
vs sa bidophobie, voire sa bidallergie.
http://www.bide-et-musique.com/program/107.html
Depuis ma découverte de ce site, chaque soir, à dose homéopathique, je déguste avec délectation deux ou trois morceaux. Et donc, hier soir, j'ai d'abord écouté
"La danse des canards", interprétée par Hector Delfosse, en 1980, puis "
La danse des petits chats" par Pierre Parachini. Des bides authentiques, s'il en est. Mais voilà qu'après la perplexité m'a saisi. Je suis en effet tombé sur une version de
"Vezoul" de Jacques Brel, interprétée par Hector Delfosse, encor. Mais ce que j'ai entendu ne m'a pas paru s'inscrire dans la catégorie des bides. Et, comme on dit aujourd'hui, ça m'interroge. J'y reviendrai, mais auparavant je précise que le titre s'orthographie bien "Vezoul", comme le montre un commentaire fort savant en réponse à une protestation d'un habitant de cette charmante ville de l'est. Je n'ai pas écouté d'autres morceaux de la sélection, dont Brel est l'auteur, mais
a priori je n'aurais pas classé "
Le plat pays", "
Les bonbons",
"Madeleine",
"Bruxelles", "
Amsterdam" ou
"Les bourgeois" parmi les bides. A moins que pour les responsables de ce choix, ce soit l'interprétation qui permette à ces oeuvres d'accéder à ce rang. A vérifier ! Et puis, tout à ma perplexité, continuant mon exploration, je suis tombé sur une version de "
L'internationale" par Willy Staquet avec, en prime, des commentaires savants sur l'origine de cette chanson et les paroles d'Eugène Pottier. Là encore, perplexité ! Je n'aurais pas classé cette oeuvre dans la catégorie des bides. Autre question donc à élucider.
Mais en attendant de pousser plus avant mon enquête et mes investigations, j'éprouve le besoin de revenir sur cette notion même de bide et de contribuer, modestement, à la construction de son concept. Pour ce faire, je propose deux considérations, certes un peu théoriques, mais à mon sens indispensables pour faire du bide un véritable objet de pensée, en un mot : un concept.
- d'abord, on peut se mettre d'accord, me semble-t-il, sur l'évidence expérientielle suivante : ce qui fonde le rapport au bide, c'est un mouvement d'affection irraisonné, irrationnel, injustifiable en termes discursifs, irrépressible. A la première écoute, on est pétrifié comme en croisant le regard de la Gorgone. On pourra toujours ensuite essayer d'argumenter, de trouver les mots pour expliciter cette inclination irrésistible, ce sera peine perdue. Le rapport au bide est immédiat : il est clair et distinct comme une évidence cartésienne. Sauf qu'il est intraduisible. Ajoutons qu'en général ce rapport d'attachement permane, car son ancrage se situe dans les tréfonds de l'inconscient. Inconscient qui souvent est collectif, comme le montre par exemple l'engouement suscité par "
La danse des canards". C'est pourquoi aussi il me parait de bonne pédagogie de faire écouter très tôt des bides aux enfants. Dès la maternelle, dès avant six ans, puisque les spécialistes de l'enfance ont démontré que tout se joue avant cet âge, en particulier l'appétence culturelle.
- en second lieu, si l'on veut avancer dans la construction un peu rigoureuse du concept de bide, il me semble que l'on peut partir du postulat suivant : toute oeuvre artistique comporte au moins deux caractéristiques, à savoir 1° sa qualité formelle intrinsèque et 2° l'accueil qu'elle a reçu, en bref son succès / insuccès. J'ai bien conscience que cette caractéristique qu'est la qualité formelle intrinsèque est sujette à débat. Qui en effet est habilité à l'attribuer à une oeuvre ? Des spécialistes ? Des académiciens ? Des critiques reconnus ? Des pairs ? Question que je laisse ouverte à ce point de ma réflexion, ce qui ne m'empêche pas de conserver ce critère. En revanche, le succès / insuccès est une caractéristique objective, pour laquelle on peut se donner des observables quantifiables, comme le nombre de concerts donnés, le nombre de disques vendus, le nombre d'articles de presse, etc...
Munis de ces deux critères, la qualité formelle intrinsèque et le degré de succés, on peut construire quatre possibilités :
1. qualité + / succès +
2. qualité + / succès -
3. qualité - / succès +
4. qualité - / succès -
La possibilité 1 est incompatible avec le bide. La possibilité 2 est une forme du bide : malgré ses qualités, l'oeuvre ne rencontre pas son public. C'est la figure du chef-d'oeuvre ignoré ou méconnu et de l'auteur maudit. La possibilité 3 est le cas traduit par l'expression "C'est du bide (= du bidon) !". L'oeuvre ne vaut rien et nonobstant son absence de qualité, le succès populaire est au rendez-vous. Pour peu que l'on veuille y réfléchir, on croule sous les exemples. Enfin, la possibilité 4, c'est le bide authentique, disons le bide légitime, car son insuccès est une façon de le renvoyer au néant dont il n'aurait dû jamais sortir.
Voilà, muni pour viatique de cette boussolle à quatre dimensions, à vous de vous faire votre propre sélection et pour cela, aidez-vous du répertoire du "P'tit bal de B et M". De grandes joies vous y attendent.