mercredi 13 janvier 2021

post mortem...

Le quartier Berlioz est constitué de barres et de tours agréablement entretenues et avec ici et là plantés droits et fiers des chênes centenaires heureusement respectés. par ses habitants fiers à leur tour de leurs arbres. Pour accéder à son petit centre commercial - je devrais plus exactement dire à son coeur tant une vie quotidienne y palpite -pour y accéder donc, il faut traverser un porche en forme de labyrinthe. Comme une voie de passage initiatique. 


En découvrant le dit coeur commercial, on voit d'abord un parking d'une douzaine de voitures : les habitués ont pratiquement leur place réservée. De manière tacite chacun se comporte de la bonne façon. Chacune des boutiques marque le début d'une file de sept à dix personnes. La plupart des gens sont âgés et le nombre de canes en est un symptôme assez évident. Le nombre des conversations relatives à la santé et aux examens ou autres radios en est un autre indice. 


Mais, tout en observant cette population, tout à coup mon regard se fait plus objectif. Ces papis et mamies si émouvants dans leur parcours fléché ne conversent pas vraiment entre eux : chacun ses soucis, ses maux et son monde. Chacun à sa santé. Les yeux fixés sur le trottoir, la file des petits pas fait preuve d'une patience étonnante. A y regarder de plus près, on dirait non des personnes mais plutôt des personnages ou encore des figurants pour un casting de film noir et blanc des années soixante. C'est ainsi qu'un mot me vient à l'esprit, une expression qui me parait fort juste en l'occurrence : post mortem... Oui ! Et après. ? Post mortem... Ils ont tous plus de soixante quinze ans ! Qu'en faire ? Ils semblent si bien dans leur réserve d'indiens. Même si de confinement en confinement la tristesse semble donner le ton...


Post mortem, il y a encore une vie possible


Pendant ce temps, Françoise écoute à sa façon, c'est-à-dire en boucle indéfinie,, soit "Abrazo", soit le dernier opus, les valses de Richard Galliano. 


Mais, alors que je participe à la file de la boulangerie et que j'en suis à mes états d'âme plutôt moroses, voilà qu'une voix, venue d'ailleurs, vient démentir mon pessimisme, mon regard chagrin sur le comportement de mes congénères : "Hey ! Paco ! Je te croyais mort ! Qu'est-ce que tu fais ici ?". Paco :"J'étais mort, mais je suis revenu, tu vois !".   "C'est pas comme le cordonnier". " Le cordonnier ? Paco : "Le cordonnier ? " ; "Oui ! Crack "Ou comme le voisin du bloc 30 B"... En étendant son linge : crack !Leurs voix finalement se confondent. .Post mortem, il y a encore une vie possible. 


Les nouvelles sont tristes. Peut-être moins qu'on pourrait le croire... Post motem.... 


Quelques instants plus tard... Je quitte la boucherie pour rejoindre la file des fruits et légumes. La voix de Paco sollicite mon attention. Il semble en effet de bonne humeur et l'échange des deux amis donne lieu à une discussion animée. On parlerait sans doute aujourd'hui de débat ou de polémique. J'entends qu'il est question de régime alimentaire. Paco est contre ; son contradicteur est pour. Il s'agit de savoir s'il est préférable pour réussir sa vie d'en profiter carpe diem ou a contrario de vivre suivant des principes de tempérance : rien de trop suivant le sage antique. Et Paco de développer sa pensée dont je n'ai entendu qu'un fragment en croisant la dispute. Il soutient qu'il préfère mourir jeune en  épicurien qu'âgé en stoïcien. Et l'autre de rire... "Mourir jeune ? Tu rigoles ! Depuis combien de temps es-tu à la retraite ?" 

Je prends ma place aux fruits et légumes... Déjà, Paco a entamé la conversation avec sa voisine... Les  files me paraissent  déjà plus animées : il faut dire que le sujet est crucial... 

Une heure plus tard, je sors de la boulangerie - pâtisserie : deux baguettes tradition et deux portions individuelles de russe. A ma droite, une voie tonitruante : Paco fait le show.. Son audience grossit à vue d'oeil. Il explique à quel point il est inutile de se faire dépister et dangereux de se faire vacciner. Il est en effet un auditeur assidu des chaines d'information continue. On ne peut être mieux informé , n'est-ce pas  ? 

Bon ! c'est pas tout ça : le plus chaud est à la cruche, il est temps de rentrer à la soupe.

Je les regarder se séparer, lui, Paco, et ses interlocuteurs. La tête pleine d'arguments. Quant à moi, je pense à Raymond Queneau.. .Allez savoir pourquoi.




 


 

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