Samedi, nous étions, Françoise et moi, invités à un mariage. Ce n'est pas le genre de cérémonie que j'affectionne mais, en l'occurrence, étant donnée la proximité familiale de la mariée, il n'était pas possible de trouver une échappatoire. Comme, malgré toute ma bonne volonté et tous mes efforts, je n'arrive guère à m'immerger dans l'ambiance, en général je me livre à quelques observations plus ou moins sociologiques qui m'amusent parfois, qui m'intéressent le plus souvent. Mais n'imaginez pas que je reste à l'écart comme un observateur distant, non impliqué et non participatif. Non, "je cause" facilement avec les uns et les autres et mon comportement, je crois, se fond dans le décor. Je ne refuse pas de jouer le jeu et je tiens ma place, ni plus ni moins, de l'apéro au café. Je m'étonne même d'arriver à échanger avec une certaine décontraction les banalités d'usage et les vérités idéologiques avec les gens, connus ou inconnus, que je croise.
Parmi les observations que j'ai faites au cours de cet événement, de 15h30 à la mairie à 3h30, où nous avons pris congé des mariés, de leurs parents et autres alliés, j'en retiens trois parmi celles qui sont publiables. Il faut savoir en effet garder le sens des limites et ne pas mettre à jour ses pensées intimes ou ses réflexions trop décapantes quand elles risqueraient de détruire le vernis des conventions et des allant de soi :
- le marié et la mariée, de toute évidence, appartiennent à deux classes sociales différentes, à deux cultures, à deux mondes étrangers l'un à l'autre. Classe dominante détentrice de tous les signes de réussites
vs classe dominée, à la frange inférieure de la classe moyenne ; culture de la mondialisation adossée à de multiples diplômes et à une conxception libérale de la société
vs culture autodidacte et parcours professionnel de fonctionnaires ; ville, métropole régionale
vs village entre maraichage et commune-dortoir à la périphérie d'une ville moyenne. J'ai été frappé de voir comment les membres de la classe dominante se sont emparés tout au long de la soirée et de la nuit de l'animation : un duo guitare - saxophone comme musiciens live ; un Dj pour faire danser les gens. A la fin, ils avaient imposé leur style et leurs rythmes au monde d'en face. Je dis monde d'en face, car les tables pour le dîner, tables de huit, ne mélangeaient pas les deux univers. A aucun moment d'ailleurs ces deux univers ne se sont rencontrés. Une frontière, invisible, séparaient les invités en deux classes. Tout était ainsi bien en ordre. Le même avec le même. Un seul écart à cette règle tacite : les parents de la mariée nous avaient demandé de bien vouloir nous placer à "la" table mixte. La seule. Table composée de deux couples "du côté" du marié et de deux du côté de la mariée. Sans doute parce que nous sommes perçus un peu bizarres, un peu atypiques. Michel Crozier parlerait de "marginaux sécants" : un pied dans un monde, l'autre dans un autre. Difficiles à situer, à classer. Et en effet nous avons les uns et les autres échangé toutes le banalités d'usage. On s'est bien tenus.
- deuxième observation : nous, je veux dire Françoise et moi, qui avons rompu avec beaucoup de conventions et qui exerçons une certaine vigilance à l'égard des codes sociaux habituels, nous qui nous sommes mariés dans une mairie de grande ville en quelques minutes et qui n'avons invité à notre repas de mariage qu'un petit nombre d'intimes, nous avons vu défiler toute la théorie des comportements les plus conformistes : discours du maire enfilant les lieux communs comme un chapelet que n'aurait pas désavoué le curé auquel il avait passé le relais, tenues de cérémonie pour les mariés, les parents, les témoins, rites et rituels respectés à la lettre. Peu d'esprit, mais une lettre impeccable. Je l'avoue, je n'avais pas conscience d'un tel retour du conformisme et du respect scupuleux des codes correspondants. Cela dit, les rituels ont parfois du bon, par exemple quand ils président à l'organisation de l'apéro géant - cent cinquante invités dans le décor prestigieux d'une cave de Jurançon - ou du repas organisé dans le plus strict respect des règles de l'art.
- troisième observation, liée à la précédente, à savoir l'organisation de l'apéro et du dîner. L'abondance de boissons et de nourritures était telle qu'évidemment même les plus gros mangeurs ont rendu les armes. Concrétement, quantités de tapas, de tranches de jambon, de gambas grillées et autres sont restées sur les tables. Mais surtout combien d'assiettes sont reparties presque pleines : bar grillé, carré d'agneau et ses petits légumes, fromages, desserts multiples, chocolats, choux ? Plus tard, en buvant un café - excellent - au bar, j'ai demandé au serveur ce qu'il advenait de toute cette nourriture en excès. Il m'a dit que tout ça, ça partait à la poubelle. Je n'ai pas voulu insister, préférant croire qu'il plaisantait. Mais bien entendu, je ne le crois pas. Dois-je l'avouer : ce gaspillage me choque. Mais en même temps j'ai compris qu'il était essentiel à le réussite de la fête. Ce gaspillage, ce gâchis, c'est la preuve manifeste que l'on ne compte pas. Il ne s'agit pas de nourriture : il s'agit de signes.
Bref, j'arrête là mes observations. Celles, je l'ai dit, que j'estime publiables.
A un moment de la soirée, comme un clin d'oeil aux codes, le père de la mariée a ouvert le bal avec sa fille au rythme d'une valse viennoise. C'était rétro en diable et distancié. Après, encore deux valses puis des musiques plus modernes, pour les jeunes. Pas de valse musette bien sûr. Encore moins de l'accordéon. Même pas du bandonéon, qui pourtant est moins populaire que son grand cousin.
Le bandonéon, je l'ai retrouvé au Parvis. Je l'écoutais en rédigeant les lignes ci-dessus.
- "Tango Balkanico, Gerardo Jerez Le Cam Quartet". Produit par Jerez Le Cam ensemble pour Label Ouest. Enregistré en 2008 par JuanJo Mosalini.
Au premier abord, le titre
"Tango Balkanico" m'a laissé dubitatif. Je me suis dit, ça peut n'être qu'une sorte de fusion commerciale. Mais quand j'ai vu le nom de JuanJo Mosalini, la confiance m'est revenue. Et je ne le regrette pas. Un beau disque, sans concessions. Un ensemble sinon surprenant du moins intéressant : Gerardo Jerez Le Cam, composition et piano, Mihai Trestian, cymbalum, Iacob Maciuca, violon, JuanJo Mosalini, bandonéon. Une très belle écriture.
En
bonus, les liens ci-dessous vers deux vidéos :
1. la bande annonce du cd
http://www.youtube.com/watch?v=PDd7AT_e1VQ2. "
Brabadag", titre 6.
http://www.dailymotion.com/video/xcdbaj_brabadag-tango-balkanico-jerez-le-c_music