mercredi 11 août - un certain regard sur le monde
Je ne relis jamais mes posts, sauf exceptionellement pour vérifier telle ou telle information factuelle ou pour m'assurer que je n'ai pas déjà écrit cette réflexion ou ce compte-rendu d'écoute qu'à l'instant je crois originaux. Mais je n'ai pas besoin de revenir sur mon post d'hier pour me rappeler ce que je disais, à savoir ma difficulté, voire mon incapacité incurable à m'immerger dans les ambiances cérémonielles, ce qui est plutôt un défaut, ou solennelles, ce qui est plutôt une qualité. A moins que ce ne soit l'inverse. Nul n'est parfait ! Disons pour faire court que je me définirais volontiers dans mon rapport au monde social comme un observacteur, un observateur participant, surfant sur l'écume des conversations et autres échanges, mais jamais complétement immergé ni impliqué dans le tissu des relations ordinaires.
...
Mon souvenir le plus lointain est lié à une photographie. On y voit un enfant de quatre à cinq ans au milieu de l'image. Il se tient droit à l'entrée d'une allée de gravier bien ratissé. De part et d'autre de cette allée, deux carrés d'herbes folles, peut-être de la pelouse que l'on a négligé de tondre. C'est l'été. L'enfant est habillé "en dimanche" : il ne faut pas jouer avec ses vêtements au risque de les froisser ou pire de les maculer de terre. Il ne faut pas se salir. J'imagine qu'il n'a porté cette tenue que le temps de prendre la photographie. Il a une chemisette blanche, un short bleu foncé avec des bretelles croisées sur le ventre, des nus-pieds avec des socquettes blanches. Il est bien coiffé. Peut-être avec un peu de gomina. Il est seul. Il est pâle. Il n'a pas le droit de jouer au soleil : c'est trop dangereux. C'est un enfant unique, c'est-à-dire sans frères ni soeurs. Et, en l'occurrence, sans petits copains. Les enfants, ça fait désordre. Ma mère ne disait pas les choses ainsi, mais j'avais compris très tôt le fond de sa pensée. Cette photographie, bien sûr, a jauni et les bords en sont en maints endroits édentés. Cette photographie, je ne sais plus où elle est. Peut-être a-t-elle été détruite.
Mais ce n'est pas cette photographie en tant que telle qui constitue mon plus lointain souvenir. Mon plus lointain souvenir c'est l'image mentale, qui m'a accompagné toute ma vie, de la scène de prise de vue. Mon souvenir, c'est ce que voit cet enfant que l'on voit sur la photographie, sage comme une image. Figé, comme pétrifié. Il ne faut pas bouger disait mon père, sinon ça sera flou. Mon père masque de sa main le verre du viseur pour éviter les reflets perturbant la mise au point. Son appareil est -comment dire ?- primitif. Une boite Kodak. Le soleil, haut dans le ciel, est derrière lui. L'appareil ne permettrait pas de faire une photographie en contrejour. Alors, face au soleil, l'enfant, moi, regarde l'objectif. On lui a dit de bien le regarder, car le petit oiseau va en sortir. Alors il regarde, je regarde et ce faisant je participe à la réussite de la photographie. C'est ma manière de jouer mon rôle d'acteur. Mais je me rappelle que face au soleil intense je suis contraint de cligner des yeux. C'est ça, je cligne des yeux et le monde devient visible. Comme si j'avais fermé un diaphragme photographique pour éviter une surexposition et une image cramée. Je me dis, en pensant à cet enfant, seul, immobile, attentif et clignant des yeux, qu'aujourd'hui encore c'est ma manière de m'accommoder d'un monde trop brillant.
Et puis, je me rappelle que cet oiseau qui devait sortir de l'appareil au moment du déclenchement, je ne l'ai jamais vu. Mais nulle déception. En fait , je m'en fous de l'oiseau, car chaque fois, attendant son envol, je l'imaginais paré d'une infinité de couleurs et cela me suffisait, car je savais qu'un oiseau concret ne serait jamais à la mesure de mon imagination.
En écrivant ces quelques paragraphes, j'écoute un disque admirable : "IF", un disque ENJA, 2002, composé par Myriam Alter et interprété par cinq musiciens magnifiques : Dino Saluzzi, bandonéon, John Ruocco, clarinette, Kenny Werner, piano, Greg Cohen, basse, Joey Barton, batterie. J'ai cherché en vain des extraits de cet album. Inconnu chez Deezer ; on le trouve sur Musicme, mais je n'ai pu déclencher les écoutes de 30 secondes. Aucun extrait non plus chez les vendeurs. Mais, croyez-moi, c'est un disque exceptionnel. Je ne suis pas adepte des classements mais je le place sans aucun doute parmi les tout premiers.
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Mon souvenir le plus lointain est lié à une photographie. On y voit un enfant de quatre à cinq ans au milieu de l'image. Il se tient droit à l'entrée d'une allée de gravier bien ratissé. De part et d'autre de cette allée, deux carrés d'herbes folles, peut-être de la pelouse que l'on a négligé de tondre. C'est l'été. L'enfant est habillé "en dimanche" : il ne faut pas jouer avec ses vêtements au risque de les froisser ou pire de les maculer de terre. Il ne faut pas se salir. J'imagine qu'il n'a porté cette tenue que le temps de prendre la photographie. Il a une chemisette blanche, un short bleu foncé avec des bretelles croisées sur le ventre, des nus-pieds avec des socquettes blanches. Il est bien coiffé. Peut-être avec un peu de gomina. Il est seul. Il est pâle. Il n'a pas le droit de jouer au soleil : c'est trop dangereux. C'est un enfant unique, c'est-à-dire sans frères ni soeurs. Et, en l'occurrence, sans petits copains. Les enfants, ça fait désordre. Ma mère ne disait pas les choses ainsi, mais j'avais compris très tôt le fond de sa pensée. Cette photographie, bien sûr, a jauni et les bords en sont en maints endroits édentés. Cette photographie, je ne sais plus où elle est. Peut-être a-t-elle été détruite.
Mais ce n'est pas cette photographie en tant que telle qui constitue mon plus lointain souvenir. Mon plus lointain souvenir c'est l'image mentale, qui m'a accompagné toute ma vie, de la scène de prise de vue. Mon souvenir, c'est ce que voit cet enfant que l'on voit sur la photographie, sage comme une image. Figé, comme pétrifié. Il ne faut pas bouger disait mon père, sinon ça sera flou. Mon père masque de sa main le verre du viseur pour éviter les reflets perturbant la mise au point. Son appareil est -comment dire ?- primitif. Une boite Kodak. Le soleil, haut dans le ciel, est derrière lui. L'appareil ne permettrait pas de faire une photographie en contrejour. Alors, face au soleil, l'enfant, moi, regarde l'objectif. On lui a dit de bien le regarder, car le petit oiseau va en sortir. Alors il regarde, je regarde et ce faisant je participe à la réussite de la photographie. C'est ma manière de jouer mon rôle d'acteur. Mais je me rappelle que face au soleil intense je suis contraint de cligner des yeux. C'est ça, je cligne des yeux et le monde devient visible. Comme si j'avais fermé un diaphragme photographique pour éviter une surexposition et une image cramée. Je me dis, en pensant à cet enfant, seul, immobile, attentif et clignant des yeux, qu'aujourd'hui encore c'est ma manière de m'accommoder d'un monde trop brillant.
Et puis, je me rappelle que cet oiseau qui devait sortir de l'appareil au moment du déclenchement, je ne l'ai jamais vu. Mais nulle déception. En fait , je m'en fous de l'oiseau, car chaque fois, attendant son envol, je l'imaginais paré d'une infinité de couleurs et cela me suffisait, car je savais qu'un oiseau concret ne serait jamais à la mesure de mon imagination.
En écrivant ces quelques paragraphes, j'écoute un disque admirable : "IF", un disque ENJA, 2002, composé par Myriam Alter et interprété par cinq musiciens magnifiques : Dino Saluzzi, bandonéon, John Ruocco, clarinette, Kenny Werner, piano, Greg Cohen, basse, Joey Barton, batterie. J'ai cherché en vain des extraits de cet album. Inconnu chez Deezer ; on le trouve sur Musicme, mais je n'ai pu déclencher les écoutes de 30 secondes. Aucun extrait non plus chez les vendeurs. Mais, croyez-moi, c'est un disque exceptionnel. Je ne suis pas adepte des classements mais je le place sans aucun doute parmi les tout premiers.
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