mardi 3 août 2010

mardi 3 août - dialectique de l'ordre et du désordre

J'étais seul à Pau. Il faisait très chaud. Le sol sous le prunier commençait à se craqueler. Les volets presque clos ne laissaient passer qu'un rayon de soleil dont l'incandescence faisait mal au yeux. Même les mouches avaient renoncé à s'acharner contre les vitres pour aller vers la lumière. Je me suis dit qu'il était temps de classer et de ranger mes cds d'accordéon et de bandonéon. Je me le suis dit et, nonobstant la torpeur ambiante, j'ai entrepris illico de le faire.

J'ai commencé par vider toutes les étagères où je les avais accumulés. Il y a longtemps, je les avais rangés par ordre alphabétique suivant le nom des accordéonistes ou bandonéonistes, sans distinguer les deux instruments. Quoi de plus simple et de plus naturel ? En fait, dès le début, j'avais utilisé plusieurs critères : le nom des instrumentistes, c'était mon principe, mais aussi parfois le nom de la formation (Florizoone ou Tricycle ?), par exemple quand il y avait deux accordéonistes, ou encore le nom de l'album ("Vale Tango, live at la Viruta"). Comme j'avais " en tête" ces variantes, je m'y retrouvais toujours. Je savais comme par intuition où se trouvait l'objet de ma recherche. Mais, le temps passant, devant les cds disposés horizontalement, j'ai commencé à dresser des colonnes verticales, que parfois je déplaçais par blocs ou que je fragmentais en deux ou trois tas : ici, des cds de bandonéon, là les disques de Delicq, sur cette autre étagère des albums regroupés en fonction d'un titre, dont j'avais voulu comparer plusieurs versions, par exemple "Libertango" ou "Adios Nonino". Plus tard encore, j'ai pris l'habitude de ne plus remettre à leur place les cds que nous avions emportés à Hossegor ou que Françoise avait sélectionnés pour les écouter en fonction de ses goûts, de ses intérêts ou de ses coups de coeur : studium et punctum. A ma décharge, il faut dire que souvent le reclassement était impossible, d'autres cds ayant tout de suite pris la place vacante. Qui va à la chasse... La nature a horreur du vide. Les cds aussi.

Bref, l'accumulation sauvage au fil des jours était devenue telle que classer et ranger mes cds était devenu absolument nécessaire pour que je puisse espérer "m'y retrouver".

De la méthode avant toute chose. Dans un premier temps, j'ai vidé toutes les étagères où les cds s'étaient accumulés et je les ai étalés sur la moquette du couloir et d'une chambre, transformant leur sol en parcours de labyrinthe. Puis, travail fastidieux mais nécessaire, je les ai classés en fonction de quelques catégories : anthologies, Galliano, Piazzolla, bandonéon, diatonique, chromatique... et même harmonica : 2. J'ai fait une classe à part pour les "copains" : Bruno Maurice, Philippe de Ezcurra et Jacques Pellarin. Une démarche on ne peut plus dialectique : un ordre initial, simple et naturel, puis le moment du désordre, de la vie quoi, et enfin, comme dépassement, construction d'un ordre moins naturel mais plus complexe, donc plus souple.

Mais devant l'espace occupé par mon fonds de cds, j'ai pris conscience que pour les disposer de manière ordonnée, je devais impérativement "faire de la place". Autrement dit vider d'autres étagères. Les vider de leur contenu actuel, c'est-à-dire des dossiers, des notes de cours, des textes, publiés ou à publier, des travaux d'étudiants, des ouvrages de référence, certains l'étant restés, d'autres devenus obsolètes, des revues spécialisées. Comment trier parmi toutes ces "choses" ? Combien de temps serait nécessaire pour en faire un tri pertinent ? Comme ma priorité était de "faire de la place" pour mes cds, j'ai alors rassemblé toutes ces "choses" dans six cartons que j'ai emportés à la déchetterie. Quand j'ai ouvert la malle arrière de la voiture, le responsable du lieu s'est approché, a jeté un oeil très professionnel pour identifier la nature de mes déchets, puis il a dit :"Incinérables !Là-bas !". J'ai donc vidé tout ce papier, toutes ces traces d'une activité qui a eu lieu, dans un énorme conteneur. Il était quasiment vide. Les paquets grossiérement ficelés se sont écrasés l'un après l'autre sur le plancher métallique de l'énorme boite avec un bruit sourd qui s'est propagé en échos dans les parois. Ils ont pour ainsi dire explosé et j'ai vu ainsi tout un travail se disperser. Une expression m'a alors traversé l'esprit :"Lacher du lest". Et en effet, je suis revenu à la maison plus léger. J'ai regardé toutes ces étagères vides, j'ai commencé à aligner mes cds en laissant un peu de jeu entre eux pour faire place aux prochaines acquisitions.

Quand j'ai eu fini, je me suis étonné de ma réaction à la déchetterie ou plutôt de mon absence de réaction affective quand j'ai jeté au fond du conteneur les traces d'un travail de plusieurs années. A nouveau m'est venue à l'esprit l'idée de jeter du lest, comme si la vie exigeait de savoir se débarrasser de grands pans du passé. En même temps, j'ai été étonné par mon indifférence face à cette séparation. Je me suis dit que ce sentiment, cet état d'esprit, cette indifférence, c'était peut-être cela que les philosophes de l'antiquité nommaient ataraxie ou apathie, à la fois but et conditions de la sagesse.

En attendant et sans pousser plus avant cette réflexion, je suis allé sur YouTube. J'y ai trouvé une vidéo : "Indifférence / Bernard Lubat et André Minvielle".

http://www.youtube.com/watch?v=IYS_6ASp7YY

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil