Astoria est une formation du type musique de chambre qui se consacre à l'interprétation de pièces d'Astor Piazzolla. A ma connaissance, cette formation, dont la composition n'est pas permanente, a produit trois cds :
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"Astor Piazzolla / Tiempo del Angel / Astoria", Astoria 2006
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"Astor Piazzolla / Adios Nonino / Astoria", Outhere, 2007
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"Astor Piazzolla / Histoire du Tango / Marc Grauwels / Astoria", Outhere, 2010
Pour se faire une idée de la musique d'Astoria, ci-dessous le lien vers leur site.
http://www.e-astoria.be/index.php
On y trouve de quoi écouter des morceaux des deux premiers cds, mais pas - pas encore ? - du dernier. La formation du premier disque comprenait deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, un piano et un accordéon, Christophe Delporte. Celle du deuxième, deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, un piano, des percussions et un accordéon, toujours C. Delporte. Celle du troisième, qui a invité un flûtiste, est composée d'un violon, d'un violoncelle, d'un piano, de percussions, avec C. Delporte à l'accordéon et au bandonéon. Tous ces musiciens sont belges et de formation classique.
Depuis que j'ai découvert Astoria, je suis leur parcours à travers leurs cds, car j'apprécie beaucoup leur jeu très maîtisé. Je pense par exemple dans le dernier cd à une version magnifique de
"Soledad", mais je pourrais citer aussi
"Concierto para Quinteto". Jusqu'ici j'avais un grand plaisir esthétique à les écouter, mais un plaisir, je m'en rends compte aujourd'hui, d'abord intellectuel. J'avais conscience d'avoir affaire à une oeuvre obstinée et de longue haleine, et cela dès le premier album. J'avais envie de les accompagner dans leur démarche. Depuis hier, il s'y ajoute une dimension affective à haute densité émotionnelle. Cette nouvelle dimension me montre à quel point - s'il en était besoin - l'émotion esthétique est à l'intersection de qualités intrinséques à un objet, ici une création artistique, et de l'état d'esprit, disons l'état d'âme du récepteur.
Je m'explique. J'avais reçu il y a quelques jours un avis de passage d'un employé chargé de relever les consommations d'électricité au compteur de la villa de mes parents. Rendez-vous entre 12 heures et 17 heures. Cette villa est vide, vide d'occupants, mais pleine d'objets, depuis que mes deux parents sont en maison de retraite à Nay. Il fallait tout de même relever le compteur. Je suis arrivé peu avant midi, j'ai ouvert toutes les portes et fenêtres, j'ai récupéré un peu de vaisselle et du linge : draps, nappes et serviettes, et j'ai attendu l'employé en question jusqu'à 14 heures. Comme il n'était pas passé, Françoise est venue me relayer et je suis allé rendre visite à mes parents le reste de l'après-midi. Elle a trié du linge, passé l'aspirateur et enlevé sur les fauteuils quelques traces de moisissures. En fin d'après-midi, je l'ai rejointe. Toujours pas d'employé en vue. Un voisin, rencontré devant le portail, me dit alors que celui-ci est passé à midi moins le quart.
Pendant notre retour à Pau, sans avoir besoin d'en parler, nous nous sentons épuisés. Epuisés non par le ménage ou par la route, non ! Epuisés de tristesse : cette villa que nous vidons à dose homéopathique, c'est une vie entière qui disparait au fur et à mesure que l'on emporte des objets pour leur redonner vie à Hossegor. Et encore, je ne parle pas des boites qui, ouvertes, montrent des jouets (les miens, il y a à peine moins de soixante ans), des lettres, des choses apparemment banales, mais conservées comme traces d'une histoire, comme traces de jours heureux. Je ne parle pas du travail que Françoise a accompli en triant du linge. Ce drap où nous avions dormi, cette nappe réservée au réveillon de Noël. Je ne parle pas non plus du regard plein de compassion que je porte sur mes parents : nous n'en parlons jamais, mais nous savons bien qu'ils ne reverront jamais de leurs yeux
live ce qui d'année en année, d'achats et achats, a construit le concret de leur vie. Comment parler par exemple de leurs 33 tours et de leurs cds ? Comment les imaginer, dans leur séjour si lumineux, écoutant Barbara, Gainsbourg, des airs d'opéra, dont ils avaient acheté une anthologie en douze disques, ou encore Franck Pourcel ? A part deux photographies des "petits", ils ne veulent pas s'entourer de quelque objet que ce soit ayant participé à leur environnement.
Et puis, après avoir essayé d'adoucir leur destin - mais sans illusions - il faut les quitter. Je les accompagne au foyer. C'est le rituel du goûter. Ils se tiennent tout près l'un de l'autre. Je leur tourne le dos, je salue les aides-soignants et les résidents. Certains me sourient ; d'autres semblent ailleurs. Et puis, arrivé à la porte, je me retourne, je leur fais un petit salut de la main ; ils me répondent en agitant une main et, je le dis, c'est déchirant. En avançant d'un pas, ils disparaissent à mon regard et je disparais à leurs yeux. Cet instant est insupportable.
C'est pour tout cela que sur le chemin du retour nous étions épuisés. Vidés ! Sans nous concerter, au lieu de rentrer à la maison, nous sommes allés boire une orange pressée et un thé dans la galerie marchande de l'hypermarché. Thé ou Café. Nous savions bien qu'après, nous irions faire un tour au Parvis. A tout hasard. Et justement, le hasard, c'était le dernier opus d'Astoria. Sa musique me touche au plus haut point. Quelque chose de poignant. Punctum, à coup sûr. Mais je sais bien que cette émotion est inséparable de mon état d'esprit, je sais bien que l'émotion esthétique que je ressens résulte d'un mixte d'impressions liées à l'écoute et de sentiments liés à l'infini tristesse qui me tient.
A tout jamais, cette "
Histoire du Tango" sera indissociable de l'état d'âme qui était le mien au moment où je l'ai écoutée. Et je pense que par une sorte d'effet de halo cette perception s'étendra dorénavant aux autres albums d'Astoria.
ps : on peut voir et écouter Astoria sur facebook à partir du lien ci-dessous :
http://www.facebook.com/pages/Astoria/58331433938