mardi 7 septembre 2010

mardi 7 septembre - malenki minki


Dans le dernier numéro, 100, d' "Accordéon & accordéonistes", numéro fort riche à maints égards, j'avais été intéressé par un entretien de Françoise Jallot avec Philippe Ollivier. Il y était question de deux opus de cet artiste, qui après un parcours à travers le chromatique et le diatonique, se définit aujourd'hui comme joueur de bandonéon à part entière : d'une part, "OstinatO", en duo avec Yannick Jory au saxophone, d'autre part une improvisation solo, "Malenki Miki".


Si les deux oeuvres m'ont paru d'emblée intéressantes, mon attention a été particulièrement attirée par ce dernier album. Il s'agit en effet d'un cd solo, enregistré en plein air dans la zone interdite de Tchernobyl et constitué pour l'essentiel d'improvisations. A priori, l'entreprise est étrange. Disons que l'idée directrice, le projet ou, si l'on veut parler à la mode, le concept m'a intéressé. Pour reprendre les catégories de R. Barthes, mon intérêt quant au studium était d'emblée très fort. Mais il n'était question, à ce stade, que d'intérêt intellectuel. C'est pourquoi j'ai voulu tout de suite vérifier si l'effet esthétique était au même niveau.

Malgré la grève générale apparemment largement suivie, le disque est arrivé à 14 heures dans ma boite à lettres. On l'a trouvé en rentrant de la "manif" trempés comme des soupes, mais contents d'avoir pu croiser beaucoup de copains et fait un bout de chemin revendicatif avec un grand nombre d'anciens collègues.

- "Malenki Miki / Musique en liberté dans la zone interdite / Bandonéon, Philippe Ollivier". Production Fur Ha Foll. 2008.

A toutes fins utiles, ci-dessous le lien vers son site :

http://www.philippeollivier.com/

Eh bien, ce disque, en première écoute, est tout à fait à la hauteur de mon attente et du studium qui s'y rattache. Suivant les notions de Barthes, disons que le punctum - la façon dont cette création me touche - ne le cède en rien au studium.

Il s'agit donc bien d'une suite d'improvisations, non destinées à être éditées et enregistrées avec un couple de micros omnidirectionnels DPA 4060 avec bonnettes fixés à un trépied en plein air. Je n'ose dire en pleine nature tant le lieu parait plutôt représenter un état post-naturel.

La couverture donne un bon équivalent photographique de l'oeuvre sonore.


Le site de l'enregistrement donne une bonne idée de l'ambiance des lieux. Et une bonne image de ce qui a constitué la source d'inspiration de Philippe Ollivier.



On imagine une émotion d'autant plus intense que Tchernobyl est connoté de mort et en tout cas de dangers, mais de dangers invisibles, impalpables, latents. Aussi de dangers à retardement, dont les effets seront longs à se faire sentir, mais alors ils seront définitifs. Irréversibles. Pour définir ses improvisations, Philippe Ollivier parle de plans-séquences et d'écriture automatique. Comme on dit aujourd'hui, cela me parle. Je crois bien sentir ce qu'il veut dire. C'est une bonne expression de ce que je ressens en effet en l'écoutant. A un moment, dans l'entretien avec F. Jallot, il parle du silence et il dit qu'il n'a pas voulu l'occuper, le remplir, le meubler, mais au contraire s'en servir de support, d'espace où déployer ses notes. Il parle aussi de ce silence comme d'un effet de l'abandon humain. Je trouve assez joli le court-circuit "abandonéon". Le bandonéon comme instrument ad hoc pour exprimer l'abandon des lieux par les hommes. 

Il y a dans ce disque quelque chose de l'ordre de l'obstination, de la méditation, de la sagesse ; quelque chose qui a lieu à l'intersection de l'extériorité du paysage et de l'intériorité des impressions de l'artiste. Il y a de la répétition, mais ce n'est pas simple redondance, c'est une manière d'approfondir des sensations, de les identifier, de les apprivoiser.

Si je voulais caractériser mon premier rapport à ce disque, je dirais que je l'écoute comme une sorte de cheminement dialectique entre l'espace environnant - hostile ? étrange ? fascinant ? - et les sensations qu'on éprouve en s'y trouvant immergé - solitude ? béatitude ? angoisse ?-. Cet espace si spécifique produit par sa présence même des sensations spécifiques chez celui qui se retrouve en son sein, mais à leur tour ces sensations jouent comme un filtre à travers lequel cet environnement est perçu. 

En fait, le parcours de ce disque est pour moi comme la construction note à note de l'intersection objective/subjective où se forme le mixte, le mélange d'un espace ambigu comme une ile et de sa perception par un sujet qui s'efforce d'en donner une traduction musicale.

En bref, un très beau disque. Le bandonéon s'impose comme une évidence. Je ne saurais dire exactement pourquoi, mais je sens qu'il était l'instrument le mieux adapté au projet de Philippe Ollivier, entre le diatonique trop acide et le chromatique trop sûr de lui. La fragilité du bandonéon, sa manière d'avancer comme un funambule est ici parfaite.     


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