Françoise et moi, nous ne séjournons jamais à Bordeaux sans rendre visite au musée d'art contemporain, anciennement centre d'arts plastiques contemporain, situé dans ce lieu magnifique en bord de Garonne : l'entrepôt Lainé. Un espace magique construit en début de XIXème siècle pour les besoins de stockage du commerce colonial. Un espace dédié au commerce maritime mais beau comme une cathédrale. Un espace de pure rationalité où la beauté découle directement de la fonctionnalité de l'architecture. On pense à Hegel :"Tout ce qui est rationnel est réel, tout ce qui est réel est rationnel".
C'est ainsi que lors de notre dernier séjour à Bordeaux, entre le concert de Bruno Maurice et celui de Daniel Mille, d'un aller-retour en tram depuis la rive droite de la Garonne, nous sommes allés nous replonger dans l'atmosphère de l'art contemporain. Ou du moins tel était d'abord notre projet. Mais voilà, nous avons souvent fait l'expérience que l'art contemporain y est plus que rare : une fois, ce sont les collections permanentes qui ne sont pas exposées, une autre fois c'est l'exposition temporaire qui débutera demain ou qui est en train d'être démontée... Cette fois, tout y était : pas d'œuvres du fonds permanent, pas ou si peu d'œuvres et d'installations temporaires. Au fond, cette pénurie nous satisfait. On peut ainsi, en sollicitant sa propre imagination, "se faire" sa propre exposition. Ce que nous ne manquons jamais de faire...
C'est ce parcours d'imagination que je vous convie à partager avec nous...
D'abord, le lieu en tant que tel avec, au sol, des sortes de rubans, comme pour insister sur la perspective. Une manière d'orienter l'espace ? Peut-être...
Et puis, après quelques pas pour voir cette architecture monumentale et en même temps légère, on s'avise qu'il y a ici et là des sortes de lampadaires dont les lumières semblent voler dans l'air. Je m'interroge : "Est-ce que les fils qui serpentent au sol font partie de l'installation ou non ?" Je décide qu'ils en font partie, comme des lignes fluides par opposition à la rigidité des lampadaires. Décidant ainsi de ce qui est ou non œuvre créée, je me sens un peu artiste.
Plus loin, dans une salle aux murs immaculés, trois objets qui ressemblent à des chaises orientées vers un mur où se trouve cette affiche :"Télévision en panne". Au fait, s'agit-il de chaises ? Peut-on s'y assoir dessus ou doit-on s'interdire d'y toucher ? Leurs positions réciproques sont elles organisées par quelque artiste ou là pour le confort du visiteur ? Je décide qu'il s'agit bien de trois choses, trois objets, qui ressemblent à des chaises, mais, vu la télé en panne, qui n'en ont pas la fonctionnalité. A nouveau, me voilà artiste !
Ah ! Voilà qui est intéressant ! Un ruban barre le passage vers des salles vides : l'interdiction d'aller voir ce qu'il en est du vide, quelle belle provocation pour l'imagination !
Et celle-ci de salle ... On croirait un Mondrian. Mais, bon, le Mondrian je me le fais dans ma tête puisqu'ici aussi il est interdit d'aller plus avant.
Deuxième niveau : tout est rouge. A gauche, au milieu de la travée, un homme, immobile, sur un de ces objets qui est ici utilisé comme chaise. Je n'ose m'approcher de peur de le réveiller... Je n'avance pas alors même qu'il n'y a aucun ruban, sinon dans ma tête. Cet homme, peut-être est ce l'artiste même qui a installé cet espace. Il n'est pas temps de le réveiller. Continuons !
Un peu plus loin, deux salles avec, dans chacune, trois "chaises"... Trois sculptures !
On notera ici que les positions sont plus libres. Est-ce le fait de quelque visiteur iconoclaste ? Pour ma part, je me contente de m'émerveiller de voir comment les deux salles sont a la fois semblables et différentes... sans compter l'effet de couleur : noir et rouge. Hypnotique !
Enfin, au moment de redescendre vers le rez-de-chausée, surprise... Un de ces objets que j'hésite à essentialiser comme chaise, comme objet utilitaire et fonctionnel, semble me faire un dernier salut : clin d'œil complice ou manière aimable de me narguer ? Les deux ! Disons que je décide que le signal est ambigu, à la fois complice et moqueur.
C'était vraiment une belle exposition, une belle installation. C'est ça, l'art contemporain. On reviendra !
ps.- Bon ! Sérieusement. Je n'ai pas conservé les tickets d'entrée - tarif normal - mais je me souviens d'en avoir considéré le prix comme "hors de prix" eu égard au nombre de salles vides et inaccessibles à notre contemplation esthétique. Sauf à considérer que ce vide justement est normal. C'est un peu embêtant par rapport à l'image que l'on peut se faire de l'art contemporain.