lundi 8 août - en vacances avec des autistes ordinaires...
Hossegor. 15h30. On a fini de déjeuner, de remplir le lave-vaisselle et de passer un coup de balai sur la terrasse. Le temps est incertain et n'incite guère à aller affronter le vent du nord qui parcourt la plage. Chacun, comme un cobaye de Pavlov, sans mot dire, reprend le cours ordinaire dee ses occupations.
Sébastien s'installe dans le canapé, son ordinateur ouvert sur ses genoux. Cet ordinateur, je l'appelle sa prothèse. A côté de lui, son Nikon. Il transfère sur son portable les photographies qu'il a prises le matin : des apprentis surfeurs aux prises avec les rouleaux venus du lointain de l'océan s'écraser sur le sable des Landes, au pied des dunes.
Nadja, dans un fauteuil, casque sur les oreilles, conçoit et travaille ses cours de maths en écoutant une musique dont ne filtre des ses grandes oreilles aucun son. A l'observer, on sent bien que les équations et ce qu'elle écoute font bon ménage. A certains moments, on perçoit bien qu'elle fait une pause dans son travail : elle interroge la météo des plages pour savoir comment seront les vagues.
Camille, près de son père, joue avec sa Nintendo, d'où sortent des sons synthétiques qui ont sur moi autant d'effet que la roulette du dentiste. Charlotte, dans le fauteuil voisin de celui de Nadja, joue avec sa Nintendo ou avec l'i-phone de son père. Parfois les deux soeurs explosent en même temps. Il faut comprendre qu'elles se sont mises en réseau et qu'elles communiquent par interface interposé. Elles pourraient être éloignées l'une de l'autre de centaines de kilomètres, elles seraient tout aussi présentes l'une à l'autre qu'en cet instant. Ce sont des enfants vraiment très adaptées à notre monde actuel.
Au premier étage, Françoise est installée devant son ordinateur. Elle veille. Recherche de concerts, lecture de newsletters et réponses à ses interlocuteurs, plus proches d'elle sans doute, malgré la distance, que de nous, qui avons chacun notre occupation et notre dialogue en cours avec notre machine, notre prothèse, d'élection. En ce sens, on pourrait encore parler d'affinités électives, même si ça n'est pas au sens de Goethe.
Quant à moi, vissé sur ma chaise, devant mon portable, j'écris ces mots pour les publier sur mon blog. C'est ainsi qu'hier, Françoise, vers 1h30, a pris connaissance de mes impressions quant au concert de Richard Galliano à Marciac. Du coup, elle m'en a parlé et fait part de ses propres impressions. En direct, de vive voix. Ce dernier comportement montre que nous sommes une famille bizarre. Normalement, elle aurait dû m'envoyer un courriel.
Et puis, à 18 heures, Sébastien, sortant de son état second, de son hypnose informatique, a fermé son portable, l'a rangé, a mis son Nikon dans sa housse, a jeté un oeil par la fenêtre pour voir l'état du ciel - comportement étrange, car il aurait pu le savoir en interrogeant son ordinateur et en visionnant les images des webcams positionnées sur lers plages d'Hossegor - et puis il a dit :"Je vais courir !"
Au même instant, mais sans aucune concertation préalable, évidemment, Nadja a fait de même et dit :"Les filles... Il fait beau...Vous voulez aller voir les surfeurs passer les baïnes ?" Elle a dû répéter sa question plusieurs fois, car Charlotte et Camille étaient au plus profond des profondeurs de leur jeu. Finalement, elles ont émergé de leur imaginaire, et marmonné comme réponse :" Euh... Quoi ? Oui, si tu veux !". Nadja, prudente :"Si je veux quoi ?" .Les filles à l'unisson :"Je sais pas". L'échange étant rythmé par les stridences de leurs Nintendos. Finalement, elles ont éteint leurs consoles et de manière quasi somnambulesque elles sont allées chercher leur vélos pour accompagner Nadja.
Françoise a dit :"Je vais en ville, voir si je peux me trouver une robe blanche pour les fêtes (de Dax)". Elle a pris son vélo, son antivol et fermé le portail derrière elle.
Quant à moi, je suis resté devant mon ordinateur. Forcément, sinon je n'aurais pas pu publier ces paragraphes sur mon séjour en Autistie... Observation participante, comme on dit en sciences humaines. Participante en effet puisque je suis en même temps observateur de l'autisme ambiant et de ses acteurs, et acteur moi-même de cette ambiance, ce qui me permet de bien comprendre - de l'intérieur - ces comportements que je qualifie d'autistes. Oui, mais... un autisme ordinaire. Normal, quoi !
Et puis m'avisant avec un peu de retard que j'étais seul, j'ai mis sur le lecteur "Iceberg" de Pascal Contet et Wu Wei. Ce disque, inaudible en famille, tant il requiert une écoute attentive et exclusive, me touche pour deux raisons au moins. Ses sonorités, ses masses sonores, ses ruptures et ses stridences évoquent en effet pour moi le formidable mouvement des icebergs. Je n'en ai jamais vu, mais cette musique correspond de manière parfaite aux images que leur nom évoque pour moi. Mais il y a autre chose. On sait que la partie émergée des icebergs n'est que le 1/10 ème de leur masse. De même, j'entends la musique des morceaux d'"Iceberg" comme la manifestation audible d'un travail très profond, quasi insondable, qui la fonde, travail que j'imagine à la fois contrôlé et soumis aux mouvements de l'inconscient.
Cette écoute est un moment rare. Bientôt, Sébastien va revenir de son entrainement, faire des étirements sur la terrasse puis prendre un bain ou une douche, avant de reprendre en main son ordi. Peu après, Nadja, Charlotte et Camille vont rentrer de la plage et nous raconter les exploits ds surfeurs avant, chacune de son côté, de reprendre qui son cours de maths et ses interrogations météorologiques, qui sa Nintendo, qui la sienne, à moins que Camille n'allume la télé pour nous faire profiter des animations et autres jeux ou concours qu'elle ne regarde que d'un oeil. Parfois, menant trois activités à la fois, elle joue avec sa Nintendo, regarde d'un oeil la télé et écoute d'une oreille son lecteur mp3. Une enfant d'aujourd'hui. Normale !
Françoise va revenir de la ville. Avec ou sans robe ? Suspense !
Je publierai ce texte. On se mettra à la préparation du repas. Et puis, on réveillera les autistes qui, après un petit temps de latence, le temps de retrouver le monde des sensations physiques, engloutiront le repas avant de retourner, vite fait, à leurs occupations et à leur autisme, comme nous, Françoise et moi, elle plongée dans son travail de fourmi, je veux dire de veille, moi plongé dans mon travail d'écriture, qui est une manière de donner sens à mon monde.
Une famille ordinaire. La vraie vie, quoi !
Sébastien s'installe dans le canapé, son ordinateur ouvert sur ses genoux. Cet ordinateur, je l'appelle sa prothèse. A côté de lui, son Nikon. Il transfère sur son portable les photographies qu'il a prises le matin : des apprentis surfeurs aux prises avec les rouleaux venus du lointain de l'océan s'écraser sur le sable des Landes, au pied des dunes.
Nadja, dans un fauteuil, casque sur les oreilles, conçoit et travaille ses cours de maths en écoutant une musique dont ne filtre des ses grandes oreilles aucun son. A l'observer, on sent bien que les équations et ce qu'elle écoute font bon ménage. A certains moments, on perçoit bien qu'elle fait une pause dans son travail : elle interroge la météo des plages pour savoir comment seront les vagues.
Camille, près de son père, joue avec sa Nintendo, d'où sortent des sons synthétiques qui ont sur moi autant d'effet que la roulette du dentiste. Charlotte, dans le fauteuil voisin de celui de Nadja, joue avec sa Nintendo ou avec l'i-phone de son père. Parfois les deux soeurs explosent en même temps. Il faut comprendre qu'elles se sont mises en réseau et qu'elles communiquent par interface interposé. Elles pourraient être éloignées l'une de l'autre de centaines de kilomètres, elles seraient tout aussi présentes l'une à l'autre qu'en cet instant. Ce sont des enfants vraiment très adaptées à notre monde actuel.
Au premier étage, Françoise est installée devant son ordinateur. Elle veille. Recherche de concerts, lecture de newsletters et réponses à ses interlocuteurs, plus proches d'elle sans doute, malgré la distance, que de nous, qui avons chacun notre occupation et notre dialogue en cours avec notre machine, notre prothèse, d'élection. En ce sens, on pourrait encore parler d'affinités électives, même si ça n'est pas au sens de Goethe.
Quant à moi, vissé sur ma chaise, devant mon portable, j'écris ces mots pour les publier sur mon blog. C'est ainsi qu'hier, Françoise, vers 1h30, a pris connaissance de mes impressions quant au concert de Richard Galliano à Marciac. Du coup, elle m'en a parlé et fait part de ses propres impressions. En direct, de vive voix. Ce dernier comportement montre que nous sommes une famille bizarre. Normalement, elle aurait dû m'envoyer un courriel.
Et puis, à 18 heures, Sébastien, sortant de son état second, de son hypnose informatique, a fermé son portable, l'a rangé, a mis son Nikon dans sa housse, a jeté un oeil par la fenêtre pour voir l'état du ciel - comportement étrange, car il aurait pu le savoir en interrogeant son ordinateur et en visionnant les images des webcams positionnées sur lers plages d'Hossegor - et puis il a dit :"Je vais courir !"
Au même instant, mais sans aucune concertation préalable, évidemment, Nadja a fait de même et dit :"Les filles... Il fait beau...Vous voulez aller voir les surfeurs passer les baïnes ?" Elle a dû répéter sa question plusieurs fois, car Charlotte et Camille étaient au plus profond des profondeurs de leur jeu. Finalement, elles ont émergé de leur imaginaire, et marmonné comme réponse :" Euh... Quoi ? Oui, si tu veux !". Nadja, prudente :"Si je veux quoi ?" .Les filles à l'unisson :"Je sais pas". L'échange étant rythmé par les stridences de leurs Nintendos. Finalement, elles ont éteint leurs consoles et de manière quasi somnambulesque elles sont allées chercher leur vélos pour accompagner Nadja.
Françoise a dit :"Je vais en ville, voir si je peux me trouver une robe blanche pour les fêtes (de Dax)". Elle a pris son vélo, son antivol et fermé le portail derrière elle.
Quant à moi, je suis resté devant mon ordinateur. Forcément, sinon je n'aurais pas pu publier ces paragraphes sur mon séjour en Autistie... Observation participante, comme on dit en sciences humaines. Participante en effet puisque je suis en même temps observateur de l'autisme ambiant et de ses acteurs, et acteur moi-même de cette ambiance, ce qui me permet de bien comprendre - de l'intérieur - ces comportements que je qualifie d'autistes. Oui, mais... un autisme ordinaire. Normal, quoi !
Et puis m'avisant avec un peu de retard que j'étais seul, j'ai mis sur le lecteur "Iceberg" de Pascal Contet et Wu Wei. Ce disque, inaudible en famille, tant il requiert une écoute attentive et exclusive, me touche pour deux raisons au moins. Ses sonorités, ses masses sonores, ses ruptures et ses stridences évoquent en effet pour moi le formidable mouvement des icebergs. Je n'en ai jamais vu, mais cette musique correspond de manière parfaite aux images que leur nom évoque pour moi. Mais il y a autre chose. On sait que la partie émergée des icebergs n'est que le 1/10 ème de leur masse. De même, j'entends la musique des morceaux d'"Iceberg" comme la manifestation audible d'un travail très profond, quasi insondable, qui la fonde, travail que j'imagine à la fois contrôlé et soumis aux mouvements de l'inconscient.
Cette écoute est un moment rare. Bientôt, Sébastien va revenir de son entrainement, faire des étirements sur la terrasse puis prendre un bain ou une douche, avant de reprendre en main son ordi. Peu après, Nadja, Charlotte et Camille vont rentrer de la plage et nous raconter les exploits ds surfeurs avant, chacune de son côté, de reprendre qui son cours de maths et ses interrogations météorologiques, qui sa Nintendo, qui la sienne, à moins que Camille n'allume la télé pour nous faire profiter des animations et autres jeux ou concours qu'elle ne regarde que d'un oeil. Parfois, menant trois activités à la fois, elle joue avec sa Nintendo, regarde d'un oeil la télé et écoute d'une oreille son lecteur mp3. Une enfant d'aujourd'hui. Normale !
Françoise va revenir de la ville. Avec ou sans robe ? Suspense !
Je publierai ce texte. On se mettra à la préparation du repas. Et puis, on réveillera les autistes qui, après un petit temps de latence, le temps de retrouver le monde des sensations physiques, engloutiront le repas avant de retourner, vite fait, à leurs occupations et à leur autisme, comme nous, Françoise et moi, elle plongée dans son travail de fourmi, je veux dire de veille, moi plongé dans mon travail d'écriture, qui est une manière de donner sens à mon monde.
Une famille ordinaire. La vraie vie, quoi !
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