dimanche 31 juillet 2011

lundi 1er août - graffitis et improvisation

Il y a, dans l'agglomération paloise, trois lieux pour lesquels j'ai une affection particulière. De temps en temps, l'envie me prend d'aller y faire un tour, de m'y immerger et d'en constater les changements. Sous l'apparence d'une certaine permanence, ce ne sont en effet que variations, modifications et fluctuations.

- Il y a d'abord ce site, derrière les anciennes tribunes du grand prix automobile, près de la gare de Pau : c'est une friche industrielle où l'on trouve imbriqués les uns dans les autres les anciens entrepôts régionaux de l'Epargne, des entreprises de récupérations de métaux, des ateliers désaffectés de la SNCF et d'autres bâtiments dont les noms et la raison sociale sont depuis longtemps effacés. Les interstices sont occupés par les caravanes de gens du voyage. C'est ainsi que coexistent aujourd'hui sur ce site d'une part les bâtiments d'archives régionales installés dans les anciens ateliers de la gare : pierre, verre et métal, d'autre part un stade en eaux vives, à la pointe de la technologie, préparé pour recevoir des épreuves de niveau mondial, et enfin des squats de musicos qui ont transformé les entrepôts en studios de répétition. Lesquels squats sont couverts de graffitis en transformation permanente, si j'ose ce paradoxe. Certains durent quelques semaines, d'autres quelques jours, la plupart seulement deux ou trois jours. Bataille sans trêve pour investir l'espace et tracer sa signature : laisser sa marque.     

- Deuxième site : les anciens abattoirs, lieu de résidence de l'association Ampli, dont le nom dit assez la vocation. Ampli est un lieu de concert et de studios de répétitions très actif et organisé. Les murs sont aussi le support de graffitis, où peu d'espace est laissé à d'éventuelles respirations. C'est le mot prolifération qui vient à l'esprit quand on se promène en ce lieu aux murs infinis.


- Troisième site, un ensemble de hangars, à la limite du stade du Hameau et d'un ancien terrain militaire aujourd'hui abandonné. Il y a peu, l'espace autour de ces hangars, destinés autrefois à entreposer des produits agricoles, peut-être des engrais, était réservé aux évolutions de skaters. Depuis quelques jours, il est entouré de grillages, vidé de ses toboggans, enclos. Des ouvriers ont commencé à démolir les hangars et à dépecer les murs qu'animaient des graffitis.



J'avoue que j'ai grand plaisir à contempler ces graffitis, dont j'apprécie la beauté graphique et picturale, mais aussi la technique et la créativité. J'aime bien retrouver certaines signatures et suivre les luttes féroces pour occuper l'espace et imposer sa signature ou, si l'on peut dire, son caractère. On reconnait vite les styles propres à tel ou tel artiste. Mais, c'est un autre plaisir, je trouve aussi une forte analogie ou correspondance entre ces formes graphiques ou plastiques et l'improvisation musicale. D'abord, spontanément, je traduis souvent ces formes en phrases musicales, comme si celles-ci s'imposaient à mon esprit. Je m'amuse à penser que parmi ces formes il y a du Mozart, du Bach ou du Beethoven. Une certaine explosivité ici, une rigueur quasi géomètrique là, une certaine pesanteur en d'autres endroits. C'est mon imaginaire qui s'exprime ainsi en toute liberté. Finalement, je prends conscience que ces graffitis me font souvent penser à des partitions musicales. Ou plus exactement à des notations, des indications pour servir de repères à des improvisations contrôlées. Je rêve de plusieurs accordéonistes, trois ou quatre, se réunissant pour improviser individuellement et collectivement à partir de ces graffitis. Ce serait une assez jolie expérience.   

Ci-dessous, un entrelacement pour un trio d'improvisateurs. Photographié sur un mur de l'entrepôt de l'Epargne. On dirait la végétation de quelque zone désertique, aride. Sable et vent. Une plante obstinée.    



Ci-dessous, sur le mur d'un ancien bâtiment administratif des abattoirs, une forme marine. Une musique aquatique, pleine de rondeurs. Le bleu et le vert, on imagine déjà un duo, accordéon et violoncelle.


Cette photographie a été prise sur l'un des hangars à la limite du stade du Hameau. Deux partie contrastées : le haut et le bas. Contraste de couleurs, contraste de formes. On imagine quelque dissonance. On imagine un accordéoniste assez virtuose pour tenir ensemble les deux dimensions de ces deux graffitis juxtaposés. Un virtuose ? Evidemment, je pense à Pascal Contet. J'imagine son prochain opus, dont le titre serait "Graffitis, improvisations sur des formes éphémères".
Mais, autre chose me touche dans ces graffitis, dans cet art éminemment éphémère, en proie à tous les dangers : rivalités, promoteurs, urbanistes, etc... J'observe en effet que ces graffitis, qui ont envahi les murs intérieurs et extérieurs de ces bâtiments de béton, de ciment, de fer et de tôle, que ces graffitis donc sont à leur tour recouverts, envahis et étouffés par la végétation. Une végétation, à l'instar des graffitis eux-mêmes, proliférante. Une force irrépressible. La géomètrie cartésienne des anciens bâtiments a disparu sous l'abondance des formes mi-géomètriques, mi-biologiques des graffitis. Tous ces rectangles de béton ont été pour ainsi dire animés par ces explosions de traits et de couleurs ; ils y ont trouvé comme une autre vie, improbable et surprenante. Maintenant, c'est la force de la vie des herbes, des ronces et des arbustes qui étouffe tout ou qui du moins est en train de tout étouffer. Qui gagnera de la nature ou des démolisseurs ? Ici, ce sont les ronces qui tombent en fine pluie du haut du mur tandis que des herbes folles montent du sol pour les rejoindre.


Ici, sur un mur des anciens abattoirs, c'est la ville des gratte-ciel qui est masquée par une végétation d'autant plus redoutable qu'elle apparait d'abord fragile, de sorte que l'on ne se méfie pas de son avancée inexorable.
Enfin, cette photographie, ci-dessous, exprime bien mon sentiment devant ce mouvement de la végétation. Je l'ai prise au Hameau. On ne voit presque plus les graffitis devenus illisibles. Je note que les arbustes se développent d'autant mieux qu'ils peuvent s'appuyer sur le grillage qui interdit aux skaters l'accès à leur stade. La géomètrie du grillage et la vitalité des arbustes auront-elles la peau des graffitis ? Je n'en sais rien, mais cette menace me parait assez symbolique : l'ordre social d'un côté, la vitalité des mauvaises herbes de l'autre, autrement dit le conformisme et les pulsions, voilà bien deux menaces pour l'expression libre et, j'y reviens, pour l'improvisation...
 






0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil