mardi 26 mai - trentels, forcément trentels !
Trentels, 6ème édition ! Nous sommes rentrés lundi, vers midi. Le temps de casser une petite croûte et en route pour Nay où mes deux hyper-vieux parents m’attendent avec impatience. Je leur décris notre séjour et je leur dis notre satisfaction, mais je sens bien qu’ils ont du mal à se représenter les raisons de notre enthousiasme. Et puis, de ma visite ils attendent surtout que je m’occupe d’eux, que je leur parle de leur villa que je vais ouvrir régulièrement, du jardin que je fais entretenir tout aussi régulièrement ; ils attendent que j’écoute le récit de leurs maux et que je note ce dont ils ont besoin : savonnette, dentifrice, cotons-tiges, étiquette de leur nom à recoudre, pince à épiler…
De retour à la maison, je me dis qu’il ne faut pas trop tarder justement à garder trace de l’édition 2009. Les sensations sont vives, mais elles s’effacent vite. Pas question de reconstituer la chronologie des faits, ce qui serait de peu d’intérêt. Je laisse l’objectivité aux historiens ou aux critiques. Mon problème, c’est de fixer ces moments que nous avons vécus en essayant d’en traduire le plus exactement possible la dimension subjective. Il ne s’agit pas d’analyse, mais d’élucidation, de prise de conscience. Au fond, la question que je me pose est de savoir pourquoi nous avons vécu Trentels une nouvelle fois avec un tel plaisir. Répondre à cette question, c’est encore une façon de prolonger ce plaisir et surtout de nous l’approprier. Eprouver du plaisir en effet est une chose, se l’approprier en est une autre.
Départ donc de Pau jeudi vers 11 heures. Pendant environ quatre-vingts kilomètres, route de Bordeaux. Une nationale à l’ancienne. Limitation à 90, virages à 70, villages à 50, déviations (pour cause de travaux d’autoroute) à 70… Une machine infernale. Impossible pour un conducteur moyen de ne pas se faire piéger par un radar fixe ou mobile. On quitte la nationale à Pillehardit et l’on s’engage dans d’interminables lignes droites traversant la forêt landaise. Des pins, des pins, des pins quadrillés par des chemins sablonneux. Une petite faim nous incite à nous arrêter dans une auberge de village : omelette aux cèpes, un verre de vin, deux cafés. Toujours la même surprise : les gens semblent considérer qu’un repas comprend nécessairement un apéritif, une entrée, un plat, un dessert et souvent un petit armagnac… Dois-je l’avouer ? Pendant quelques kilomètres, j’ai un regard plutôt soupçonneux sur les voitures qui nous croisent. Mais, bon, la circulation est dense, mais fluide. On entre en Lot-et-Garonne. Un espace ouvert, des vergers. Villeneuve-sur-Lot… Trentels. Le village parait désert. Il est 15h30. Un détour par la salle des fêtes. Une voiture garée. Un bénévole s’affaire. Il nous reconnaît. Large sourire. Il s’avance : « Les fidèles sont là !». La conversation s’engage. On se tutoie spontanément. « A ce soir ! ». Le temps de déposer nos bagages à l’hôtel, à Fumel. La ville parait quelque peu sinistrée : l’avenue de l’usine ne garde de l’effervescence ouvrière passée que quelques bistrots. Et des joueurs d’accordéon ? Bref, en fin d’après-midi, comme de coutume, suivant un comportement qui est devenu un rituel, nous rejoignons l’église de Ladignac. Devant le porche, André, entre un problème à régler et un problème réglé. A l’intérieur, Anne-Marie qui s’assure que Philippe et Maitane, qui répètent, ont les meilleures conditions possibles. Un rapide bonjour à tous les deux, car le plaisir de les retrouver ne doit pas perturber ces moments de réglages délicats qui précèdent l’instant où le trac va forcément leur tomber dessus. Plus tard, nous avons le plaisir de retrouver Elisabeth H., qui vient chaque année de Berlin, assister au festival et suivre un stage d’accordéon.
Jeudi, 21 heures. Duo a tempo, Philippe De Ezcurra, accordéon de concert, Maitane Sebastian, violoncelle.
Le lieu, quoique banal du point de vue architectural, devient magique dès le début du concert. Le programme est parfait :
- Milonga en Ré, Muerte del Angel, Piazzolla
- Escape, Busseuil
- Sonate en sol m. de J.-S. Bach
- Stichera,Volkov
- Blue Rondo à la Turk, Brubeck
- Adagietto, Mahler
- L’été, Vivaldi
- En bonus, la «Pavane » du compositeur de Ciboure, donc basque, M. Ravel, spécialement dédié à Anne-Marie et André.
Comment dire ? Le duo fonctionne à merveille. Tout en nuances et en sensibilité. Le travail évidemment est gommé ; rien de laborieux, ne reste que la perfection de l’exécution. Ils sont jeunes. Ils sont prêts à toutes les audaces. L’énergie et la maitrise font un alliage magique. A la sortie du concert, je suis partagé entre deux sentiments contradictoires ou, plus exactement complémentaires : une espèce de plénitude, de plaisir impeccable, qui très vite fait place à un sentiment de frustration. Le sentiment de n’avoir saisi que l’écume de la musique, qui vient d’être créée pour notre plaisir. Mais, en même temps qu’il ne reste que les mots échangés pour garder quelque chose de ce bonheur, je m’avise que cette frustration est positive. Je dirais qu’elle est active : c’est elle en effet qui nous donne le désir, dès que possible, d’écouter à nouveau le duo. Je n’avais jamais eu si clairement conscience que la frustration est un bon critère de jugement. Peut-être qu’un concert réussi est un concert qui provoque immédiatement une impression de vide, de manque, et non un contentement béat et définitif.
Vendredi, 18 heures. Sur le pré de la salle des fêtes, une chorégraphe, Pascale Bravo, improvise avec Michel Macias. L’accordéoniste prévu était Grégory Daltin, mais il s’est, je crois, brisé deux doigts accidentellement. Michel assure donc comme on dit. Et il le fait fort bien, attentif à dialoguer avec la danseuse. Au fil du spectacle, on voit et l’on entend un dialogue se construire. Avec des moments d’attente et des moments d’échanges intenses.
A partir de 19h30, un peu plus tard à cause de problèmes de balance, on commence à entrer dans la salle. C’est le moment de l’apéro en musique, façon steel-band, et d’une assiette à la mode brésilienne. A 20h30, Elisabeth et Jean-Marc, qui a rejoint le festival, s’installent à notre table. On parle de tout et de rien, on parle forcément de disques. On compare nos richesses. On se promet réciproquement de se faire écouter nos disques de prédilection.
Vers 21 heures, Christian Toucas et son New Quartet, contrebasse, percussions et cajon, piano. Je ne sais depuis combien de temps je souhaitais écouter Christian Toucas. Mais il se produit le plus souvent loin de notre sud-ouest et nous n’avions eu l’occasion de l’écouter qu’une fois à Souillac, dans le décor grandiose d’une grotte vaste comme une cathédrale. Comment dire ? Un jazz très influencé par les rythmes latins. Mais s’en tenir là serait très réducteur. En fait, mon impression dominante, c’est d’avoir affaire à un artiste qui cherche. Qui cherche et qui cherche à faire partager sa recherche. J’ai bien apprécié un morceau en solo dont le titre m’a échappé ; j’ai bien apprécié la cohésion du quartet. J’ai noté que Christian Toucas portait des chaussures bicolores : vert / jaune. Je me suis demandé si c’était une manière symbolique d’afficher son attachement à la musique brésilienne. J’apprendrai plus tard qu’il avait égaré ses chaussures de scène : noires. Pourtant, le symbole était joli. Ah ! j’allais oublier : Toucas, sur scène, c’est aussi une posture, une manière de chuchoter au soufflet de son accordéon, une manière de lui parler dans un langage codé. Là encore, dès la pause, où j’ai découvert un disque double, « Accordéons d’hier / Accordéons d’ailleurs », sur lequel Toucas joue sur une vingtaine de morceaux, dès la fin de la pause, j’ai ressenti cette même frustration qu’hier. L’impression de n’avoir perçu que l’écume, l’impression d’avoir laissé échapper je ne sais quelle richesse et quelle complexité.
Vers 23 heures, Renato Borghetti et son quartet brésilien, guitare, flûte et saxophone, piano. Un son étonnant. Acide comme un citron vert. Des mélodies faussement simples, qui s’enchaînent pour notre plus grand bonheur. A la flûte et au saxophone, comment dire ? En apparence un gentil père de famille, juste un peu enrobé. Mais il faut se méfier des apparences… Parfois et même souvent, j’ai pensé à la musique du forro. A la fin du concert, j’ai découvert un disque, le seul à la vente, « Fandango ! ».
En tout cas, au terme de cette soirée, en rentrant à Fumel, nous sommes bien d’accord, Françoise et moi, pour reconnaître la qualité de la programmation. Pas un défaut, pas une faute. Décidément, Anne-Marie a le flair, le goût, l’expérience et pourquoi pas le génie de construire des équilibres parfaits.
Samedi, vers 19 heures. En arrivant sur le site du festival, nous apprenons que Christian Toucas, prenant le rôle assumé hier par Michel Macias, a improvisé avec la chorégraphe. De l’avis unanime, une vraie réussite. On regrette un peu d’avoir manqué ce moment, mais comme Christian Toucas est en train de discuter avec quelques personnes, je me présente et je sollicite un autographe de sa part sur les deux disques que j’ai apportés : « Erranza » et « Accordion Project ». J’ai oublié à Pau le « Trio Elbassan ». Rencontre très chaleureuse. J’ai souvent noté, par exemple à propos de Bruno Maurice, de Philippe De Ezcurra ou de bien d’autres, que leurs qualités personnelles ne suffiraient pas à en faire de grands accordéonistes. Mais il est vrai que lorsque la maitrise technique et la sensibilité artistique sont là, si de surcroit on a affaire à une personne authentique, cette authenticité rejaillit sur les qualités professionnelles. Je dirais volontiers la même chose de Christian Toucas. Pendant un long moment, nous avons échangé à propos de tout et de rien, d’ « Erranza », d’ « Accordion Project », de Souillac, de Marcel Azzolla, de ses projets immédiats et plus lointains. Ce n’est pas le contenu informatif, en l’occurrence, qui est l’essentiel. C’est la qualité de l’échange. Une rencontre sympathique, au sens précis du terme. Une façon de se trouver immédiatement en phase. Je n’oublie pas, à cette occasion, que Nelly Campo m’avait offert « Accordion Project ». Je la salue.
Pendant ma conversation avec Christian Toucas, Elisabeth et Jean-Marc, qui ont suivi son stage, se sont installés sur des marches. Ils jouent pour leur bonheur et pour celui des gens qui arrivent par petits groupes.
Vers 20h30, Oyun – Christian Maës, accordéon diatonique, accordéon électrique, groove box ; Laors Dacquay, guitare – s’installe sur la scène. Elisabeth et Jean-Marc nous rejoignent. Il fait chaud. Les pressions sont nécessaires. On se dit que sous les projecteurs les musiciens doivent cuire à petit feu. De fait, la sueur coule sur leurs visages et sur leurs chemises. Je ne connaissais rien de ce duo. Je n’avais pas voulu en avoir une première idée par internet. Si je devais décrire cette musique, je dirais qu’il s’agit de la rencontre de la tradition bretonne avec des rythmes venus de Turquie. Un mélange pas si étrange que cela. Une musique hypnotique, qui donne ses effets de plus en plus au fur et à mesure que les morceaux s’enchainent. Cette impression est renforcée par l’intervention d’une danseuse, façon danseuse orientale. Je trouve assez fascinante la manière dont elle passe et repasse devant les deux musiciens. On est loin des Gnaouas de Marrakech et cependant j’y pense, toujours à cause de la dimension hypnotique que j’évoquais plus haut. Je pense aussi aux derviches tourneurs.
Vers 22h15, Ricardo Tesi et Banditaliana. Tesi, accordéon ; Maurizio Geri, guitare et voix ; Claudio Carboni, saxophones, Marco Fadda, percussions. Un professionnalisme impressionnant. Ricardo Tesi, assis, face au public, bouge très peu. Presque immobile. Mais le son qui sort de son instrument est comme une onde qui vous traverse le corps. Ne parlons pas de la complicité entre les membres du quartet. Le mot professionnalisme qualifie bien, me semble-t-il, l’impression qu’ils donnent. Une mécanique qui tourne comme une horloge suisse. A plusieurs reprises, je pense à des tarentelles. En tout cas, ça sonne italien en diable. Quant à Tesi lui-même, il établit d’emblée une relation détendue avec le public. On imagine qu’il a rodé et re-rodé ses bons mots, mais en tout cas son humour fait mouche. Et il n’oublie jamais de dire sur quel disque se trouve le morceau qui a été ou qui va être interprété, ni non plus de préciser que les disques en question sont à la vente en sortie de concert. Du coup, à la fin du concert, on achète "Banditaliana / Riccardo Tesi", Felmay, 1999, et "Crinali", Felmay, 2006.
Dimanche matin, sur le chemin du retour, petite halte à Trentels. On a le plaisir une dernière fois de discuter avec Anne-Marie et André, Elisabeth et Jean-Marc ; de remercier quelques bénévoles de l’organisation ; d’échanger quelques mots avec Christian Toucas ; de retrouver Stéphane Morel venu de Bordeaux pour présenter des accordéons et pour faire connaître son atelier. Mais il faut bien se séparer. Sur le chemin de Villeneuve-sur-Lot, où nous avons décidé de faire halte pour aller voir une exposition de photographies de Bernard Plossu, nous sommes bien d’accord sur cette idée que ce festival a été, cette fois encore, une vraie réussite, et sur ce constat qu’il nous a laissé un sentiment de frustration, comme si sa richesse était infiniment plus grande que ce que nous avions pu en percevoir sur le vif. Frustration positive, source de désir et donc de projets et donc de recherche de concerts sur internet dès notre retour.
Pendant le déjeuner à Villeneuve, vers 13h30, le mobile de Françoise sonne. C’est Charlotte qui se demande où nous sommes. « A Villeneuve ? Ce n’est pas loin de Toulouse, vous pourriez peut-être faire un détour par la maison. Allez Mamou, dis oui ! ». Et en effet, Mamou dit oui. C’est ainsi que nous avons diné chez les petits. Barbecue. C’est ainsi que nous avons accompagné les filles à l’école lundi matin avant de rentrer à Pau vers midi… et qu’ensuite je suis allé voir mes parents à Nay, pendant que Françoise faisait le marché chez Leclerc. La routine reprenait ses droits. Il était temps de penser à écrire ce compte-rendu avant que les souvenirs aient eu le temps de s’effacer.
Et maintenant, il me reste à trier les photographies que j’ai prises à Trentels et à les publier sous forme de photonotes. Tout en écoutant les disques ramenés du festival.
De retour à la maison, je me dis qu’il ne faut pas trop tarder justement à garder trace de l’édition 2009. Les sensations sont vives, mais elles s’effacent vite. Pas question de reconstituer la chronologie des faits, ce qui serait de peu d’intérêt. Je laisse l’objectivité aux historiens ou aux critiques. Mon problème, c’est de fixer ces moments que nous avons vécus en essayant d’en traduire le plus exactement possible la dimension subjective. Il ne s’agit pas d’analyse, mais d’élucidation, de prise de conscience. Au fond, la question que je me pose est de savoir pourquoi nous avons vécu Trentels une nouvelle fois avec un tel plaisir. Répondre à cette question, c’est encore une façon de prolonger ce plaisir et surtout de nous l’approprier. Eprouver du plaisir en effet est une chose, se l’approprier en est une autre.
Départ donc de Pau jeudi vers 11 heures. Pendant environ quatre-vingts kilomètres, route de Bordeaux. Une nationale à l’ancienne. Limitation à 90, virages à 70, villages à 50, déviations (pour cause de travaux d’autoroute) à 70… Une machine infernale. Impossible pour un conducteur moyen de ne pas se faire piéger par un radar fixe ou mobile. On quitte la nationale à Pillehardit et l’on s’engage dans d’interminables lignes droites traversant la forêt landaise. Des pins, des pins, des pins quadrillés par des chemins sablonneux. Une petite faim nous incite à nous arrêter dans une auberge de village : omelette aux cèpes, un verre de vin, deux cafés. Toujours la même surprise : les gens semblent considérer qu’un repas comprend nécessairement un apéritif, une entrée, un plat, un dessert et souvent un petit armagnac… Dois-je l’avouer ? Pendant quelques kilomètres, j’ai un regard plutôt soupçonneux sur les voitures qui nous croisent. Mais, bon, la circulation est dense, mais fluide. On entre en Lot-et-Garonne. Un espace ouvert, des vergers. Villeneuve-sur-Lot… Trentels. Le village parait désert. Il est 15h30. Un détour par la salle des fêtes. Une voiture garée. Un bénévole s’affaire. Il nous reconnaît. Large sourire. Il s’avance : « Les fidèles sont là !». La conversation s’engage. On se tutoie spontanément. « A ce soir ! ». Le temps de déposer nos bagages à l’hôtel, à Fumel. La ville parait quelque peu sinistrée : l’avenue de l’usine ne garde de l’effervescence ouvrière passée que quelques bistrots. Et des joueurs d’accordéon ? Bref, en fin d’après-midi, comme de coutume, suivant un comportement qui est devenu un rituel, nous rejoignons l’église de Ladignac. Devant le porche, André, entre un problème à régler et un problème réglé. A l’intérieur, Anne-Marie qui s’assure que Philippe et Maitane, qui répètent, ont les meilleures conditions possibles. Un rapide bonjour à tous les deux, car le plaisir de les retrouver ne doit pas perturber ces moments de réglages délicats qui précèdent l’instant où le trac va forcément leur tomber dessus. Plus tard, nous avons le plaisir de retrouver Elisabeth H., qui vient chaque année de Berlin, assister au festival et suivre un stage d’accordéon.
Jeudi, 21 heures. Duo a tempo, Philippe De Ezcurra, accordéon de concert, Maitane Sebastian, violoncelle.
Le lieu, quoique banal du point de vue architectural, devient magique dès le début du concert. Le programme est parfait :
- Milonga en Ré, Muerte del Angel, Piazzolla
- Escape, Busseuil
- Sonate en sol m. de J.-S. Bach
- Stichera,Volkov
- Blue Rondo à la Turk, Brubeck
- Adagietto, Mahler
- L’été, Vivaldi
- En bonus, la «Pavane » du compositeur de Ciboure, donc basque, M. Ravel, spécialement dédié à Anne-Marie et André.
Comment dire ? Le duo fonctionne à merveille. Tout en nuances et en sensibilité. Le travail évidemment est gommé ; rien de laborieux, ne reste que la perfection de l’exécution. Ils sont jeunes. Ils sont prêts à toutes les audaces. L’énergie et la maitrise font un alliage magique. A la sortie du concert, je suis partagé entre deux sentiments contradictoires ou, plus exactement complémentaires : une espèce de plénitude, de plaisir impeccable, qui très vite fait place à un sentiment de frustration. Le sentiment de n’avoir saisi que l’écume de la musique, qui vient d’être créée pour notre plaisir. Mais, en même temps qu’il ne reste que les mots échangés pour garder quelque chose de ce bonheur, je m’avise que cette frustration est positive. Je dirais qu’elle est active : c’est elle en effet qui nous donne le désir, dès que possible, d’écouter à nouveau le duo. Je n’avais jamais eu si clairement conscience que la frustration est un bon critère de jugement. Peut-être qu’un concert réussi est un concert qui provoque immédiatement une impression de vide, de manque, et non un contentement béat et définitif.
Vendredi, 18 heures. Sur le pré de la salle des fêtes, une chorégraphe, Pascale Bravo, improvise avec Michel Macias. L’accordéoniste prévu était Grégory Daltin, mais il s’est, je crois, brisé deux doigts accidentellement. Michel assure donc comme on dit. Et il le fait fort bien, attentif à dialoguer avec la danseuse. Au fil du spectacle, on voit et l’on entend un dialogue se construire. Avec des moments d’attente et des moments d’échanges intenses.
A partir de 19h30, un peu plus tard à cause de problèmes de balance, on commence à entrer dans la salle. C’est le moment de l’apéro en musique, façon steel-band, et d’une assiette à la mode brésilienne. A 20h30, Elisabeth et Jean-Marc, qui a rejoint le festival, s’installent à notre table. On parle de tout et de rien, on parle forcément de disques. On compare nos richesses. On se promet réciproquement de se faire écouter nos disques de prédilection.
Vers 21 heures, Christian Toucas et son New Quartet, contrebasse, percussions et cajon, piano. Je ne sais depuis combien de temps je souhaitais écouter Christian Toucas. Mais il se produit le plus souvent loin de notre sud-ouest et nous n’avions eu l’occasion de l’écouter qu’une fois à Souillac, dans le décor grandiose d’une grotte vaste comme une cathédrale. Comment dire ? Un jazz très influencé par les rythmes latins. Mais s’en tenir là serait très réducteur. En fait, mon impression dominante, c’est d’avoir affaire à un artiste qui cherche. Qui cherche et qui cherche à faire partager sa recherche. J’ai bien apprécié un morceau en solo dont le titre m’a échappé ; j’ai bien apprécié la cohésion du quartet. J’ai noté que Christian Toucas portait des chaussures bicolores : vert / jaune. Je me suis demandé si c’était une manière symbolique d’afficher son attachement à la musique brésilienne. J’apprendrai plus tard qu’il avait égaré ses chaussures de scène : noires. Pourtant, le symbole était joli. Ah ! j’allais oublier : Toucas, sur scène, c’est aussi une posture, une manière de chuchoter au soufflet de son accordéon, une manière de lui parler dans un langage codé. Là encore, dès la pause, où j’ai découvert un disque double, « Accordéons d’hier / Accordéons d’ailleurs », sur lequel Toucas joue sur une vingtaine de morceaux, dès la fin de la pause, j’ai ressenti cette même frustration qu’hier. L’impression de n’avoir perçu que l’écume, l’impression d’avoir laissé échapper je ne sais quelle richesse et quelle complexité.
Vers 23 heures, Renato Borghetti et son quartet brésilien, guitare, flûte et saxophone, piano. Un son étonnant. Acide comme un citron vert. Des mélodies faussement simples, qui s’enchaînent pour notre plus grand bonheur. A la flûte et au saxophone, comment dire ? En apparence un gentil père de famille, juste un peu enrobé. Mais il faut se méfier des apparences… Parfois et même souvent, j’ai pensé à la musique du forro. A la fin du concert, j’ai découvert un disque, le seul à la vente, « Fandango ! ».
En tout cas, au terme de cette soirée, en rentrant à Fumel, nous sommes bien d’accord, Françoise et moi, pour reconnaître la qualité de la programmation. Pas un défaut, pas une faute. Décidément, Anne-Marie a le flair, le goût, l’expérience et pourquoi pas le génie de construire des équilibres parfaits.
Samedi, vers 19 heures. En arrivant sur le site du festival, nous apprenons que Christian Toucas, prenant le rôle assumé hier par Michel Macias, a improvisé avec la chorégraphe. De l’avis unanime, une vraie réussite. On regrette un peu d’avoir manqué ce moment, mais comme Christian Toucas est en train de discuter avec quelques personnes, je me présente et je sollicite un autographe de sa part sur les deux disques que j’ai apportés : « Erranza » et « Accordion Project ». J’ai oublié à Pau le « Trio Elbassan ». Rencontre très chaleureuse. J’ai souvent noté, par exemple à propos de Bruno Maurice, de Philippe De Ezcurra ou de bien d’autres, que leurs qualités personnelles ne suffiraient pas à en faire de grands accordéonistes. Mais il est vrai que lorsque la maitrise technique et la sensibilité artistique sont là, si de surcroit on a affaire à une personne authentique, cette authenticité rejaillit sur les qualités professionnelles. Je dirais volontiers la même chose de Christian Toucas. Pendant un long moment, nous avons échangé à propos de tout et de rien, d’ « Erranza », d’ « Accordion Project », de Souillac, de Marcel Azzolla, de ses projets immédiats et plus lointains. Ce n’est pas le contenu informatif, en l’occurrence, qui est l’essentiel. C’est la qualité de l’échange. Une rencontre sympathique, au sens précis du terme. Une façon de se trouver immédiatement en phase. Je n’oublie pas, à cette occasion, que Nelly Campo m’avait offert « Accordion Project ». Je la salue.
Pendant ma conversation avec Christian Toucas, Elisabeth et Jean-Marc, qui ont suivi son stage, se sont installés sur des marches. Ils jouent pour leur bonheur et pour celui des gens qui arrivent par petits groupes.
Vers 20h30, Oyun – Christian Maës, accordéon diatonique, accordéon électrique, groove box ; Laors Dacquay, guitare – s’installe sur la scène. Elisabeth et Jean-Marc nous rejoignent. Il fait chaud. Les pressions sont nécessaires. On se dit que sous les projecteurs les musiciens doivent cuire à petit feu. De fait, la sueur coule sur leurs visages et sur leurs chemises. Je ne connaissais rien de ce duo. Je n’avais pas voulu en avoir une première idée par internet. Si je devais décrire cette musique, je dirais qu’il s’agit de la rencontre de la tradition bretonne avec des rythmes venus de Turquie. Un mélange pas si étrange que cela. Une musique hypnotique, qui donne ses effets de plus en plus au fur et à mesure que les morceaux s’enchainent. Cette impression est renforcée par l’intervention d’une danseuse, façon danseuse orientale. Je trouve assez fascinante la manière dont elle passe et repasse devant les deux musiciens. On est loin des Gnaouas de Marrakech et cependant j’y pense, toujours à cause de la dimension hypnotique que j’évoquais plus haut. Je pense aussi aux derviches tourneurs.
Vers 22h15, Ricardo Tesi et Banditaliana. Tesi, accordéon ; Maurizio Geri, guitare et voix ; Claudio Carboni, saxophones, Marco Fadda, percussions. Un professionnalisme impressionnant. Ricardo Tesi, assis, face au public, bouge très peu. Presque immobile. Mais le son qui sort de son instrument est comme une onde qui vous traverse le corps. Ne parlons pas de la complicité entre les membres du quartet. Le mot professionnalisme qualifie bien, me semble-t-il, l’impression qu’ils donnent. Une mécanique qui tourne comme une horloge suisse. A plusieurs reprises, je pense à des tarentelles. En tout cas, ça sonne italien en diable. Quant à Tesi lui-même, il établit d’emblée une relation détendue avec le public. On imagine qu’il a rodé et re-rodé ses bons mots, mais en tout cas son humour fait mouche. Et il n’oublie jamais de dire sur quel disque se trouve le morceau qui a été ou qui va être interprété, ni non plus de préciser que les disques en question sont à la vente en sortie de concert. Du coup, à la fin du concert, on achète "Banditaliana / Riccardo Tesi", Felmay, 1999, et "Crinali", Felmay, 2006.
Dimanche matin, sur le chemin du retour, petite halte à Trentels. On a le plaisir une dernière fois de discuter avec Anne-Marie et André, Elisabeth et Jean-Marc ; de remercier quelques bénévoles de l’organisation ; d’échanger quelques mots avec Christian Toucas ; de retrouver Stéphane Morel venu de Bordeaux pour présenter des accordéons et pour faire connaître son atelier. Mais il faut bien se séparer. Sur le chemin de Villeneuve-sur-Lot, où nous avons décidé de faire halte pour aller voir une exposition de photographies de Bernard Plossu, nous sommes bien d’accord sur cette idée que ce festival a été, cette fois encore, une vraie réussite, et sur ce constat qu’il nous a laissé un sentiment de frustration, comme si sa richesse était infiniment plus grande que ce que nous avions pu en percevoir sur le vif. Frustration positive, source de désir et donc de projets et donc de recherche de concerts sur internet dès notre retour.
Pendant le déjeuner à Villeneuve, vers 13h30, le mobile de Françoise sonne. C’est Charlotte qui se demande où nous sommes. « A Villeneuve ? Ce n’est pas loin de Toulouse, vous pourriez peut-être faire un détour par la maison. Allez Mamou, dis oui ! ». Et en effet, Mamou dit oui. C’est ainsi que nous avons diné chez les petits. Barbecue. C’est ainsi que nous avons accompagné les filles à l’école lundi matin avant de rentrer à Pau vers midi… et qu’ensuite je suis allé voir mes parents à Nay, pendant que Françoise faisait le marché chez Leclerc. La routine reprenait ses droits. Il était temps de penser à écrire ce compte-rendu avant que les souvenirs aient eu le temps de s’effacer.
Et maintenant, il me reste à trier les photographies que j’ai prises à Trentels et à les publier sous forme de photonotes. Tout en écoutant les disques ramenés du festival.
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