samedi 10 janvier 2009

lundi 12 janvier - de l'usage de la photographie

En parcourant le dernier numéro de la revue "Accordéon & accordéonistes", j'ai noté à quel point les photographies qui illustrent les différentes rubriques sont codées. Comme ces rubriques, tant par leur style d'écriture que par leur mise en page, sont elles-mêmes strictement codées, on a affaire à un cadrage de la lecture extrêmement balisé, que pour ma part je trouve fort agréable. Ainsi aidé, je lis la revue comme je suivrais un parcours fléché.

Chemin faisant, ces huit pages ci-dessous ont retenu mon attention. D'autres, semblables par la forme et par l'intention, auraient pu figurer à leur place. L'analyse eût été la même et, en l'occurrence, c'est l'analyse qui m'intéresse en tant qu'elle dégage une signification.

- page 4, copyright D.R. Rubrique "Echos" pour le haut, "Portrait express" pour le bas.
Qui se cache sous ces deux initiales, D et R ? Une enquête s'impose mon cher Watson. Serait-ce la rédaction de la revue ? En tout cas, les deux photographies de cette page me semblent avoir des fonctions très différentes. Celle du haut correspond à un usage populaire de la photographie. Elle est le moyen privilégié de fixer des moments particuliers de l'existence. On est heureux d'être ensemble. On veut en garder trace, se constituer une mémoire matérielle. On immortalise un événement. Notons ici que les personnes présentes sur cette photographie ont l'habitude de se rencontrer à l'occasion de festivals, de concerts, de présentations de matériels. On retrouve ainsi régulièrement dans cette rubrique des "Echos" un certain nombre de vedettes : Roman Jbanov, Jean Corti, Ludovic Beier, Marcel Azzolla, Marc Perrone, des représentants d'entreprises de fabrication d'accordéons, etc...
La photographie du bas a une tout autre fonction, presqu'opposée. Il ne s'agit pas d'anecdote. Il ne s'agit pas de fixer un fait particulier. Il s'agit tout au contraire de donner à voir un accordéoniste dans son essence même. On ne voit pas Serge Berry en train de jouer ; on doit pouvoir saisir à travers son image quel est le style de ses prestations.

- page 12, photos du haut signées Alexandra Astorg, photographe de la revue ; photo du bas, copyright D.R. Rubrique "Echos".
Deux photographies qui sont censées fixer des événements, mais dans un cas, photographies du haut, cet événement fait publicité et en ce sens se rapproche de celle de Serge Berry, tandis que celle du bas rejoindra la boite à souvenirs des participants.


- page 18, photo du haut, Alexandra Astorg, rubrique "Echos" ; photo du bas, copyright D.R., rubrique "Portrait express".
La photographie du haut est signée d'une photographe de la revue. On peut donc penser qu'elle s'inscrit dans un reportage et qu'elle aura sa place dans les archives d'"Accordéon & accordéonistes". Mais pourquoi un reportage pour cet événement ? Même question d'ailleurs que pour la page 12 ci-dessus.
La photographie du bas, quoique fort différente de celle de Serge Berry, appartient bien à la même catégorie du "Portrait Express" : image promotionnelle. L'artiste n'est pas en train de jouer. Il pose avec l'intention de signifier son style. Il regarde l'objectif et ce faisant il regarde le lecteur droit dans les yeux. On peut voir ainsi clairement à qui l'on a affaire. L'image, c'est l'homme ou, si l'on veut, l'artiste.


- pages 24 et 25, photographies signées Bill Akwa Bétotè, photographe de la revue ; textes de Françoise Jallot. Rubrique "Nous y étions".
On change de registre. ce ne sont pas des photographies posées ou de studio ; ce sont des moments d'un concert où les musiciens sont saisis en train de jouer. Recherche de l'instant décisif, suivant l'expression de Cartier-Bresson. On ne peut s'y tromper : ce sont des photographies de photographe. Il s'agit d'attraper au vol un moment d'un événement et dans le même mouvement d'en dégager les caractéristiques essentielles : posture de Marcel Azzolla, posture de Lina Bossatti.



- pages 26-27, rubrique "Tête d'affiche". Les photographies page 26 et page 27 bas sont référencées sous le copyright D.R. ; les trois autres, page 27 haut, ne sont pas référencées. On peut penser qu'elles font partie de la collection personnelle de l'accordéoniste.
On pense aux clichés des "Portraits express" : l'artiste dit "voilà qui je suis !". Sur la page de droite ( on trouverait la même mise en page pour tout l'article), des photographies, plein de photographies, comme autant de moments forts de sa vie. On pense à ces cadres saturés de photographies, comme autant d'images édifiantes, que l'on trouve dans certaines salles à manger, sur une cheminée ou parfois sur un piano. Elles sont destinées à jalonner le parcours du héros, parfois à en reconstituer la trajectoire admirable. Les photographies comme autant de signes du destin.



- pages 38 et 39 ; rubrique "Entretien". Le texte est défini comme "propos recueillis par Françoise Jallot". Photographies signées Thomas Dorn.
Changement de registre. Les deux photographies sont destinées à montrer qui est Jean-Jacques Milteau mais non à la manière des "Portraits express". Ici, le photographe a une véritable visée artistique. Recherche d'un portrait psychologique ; recherche d'une attitude décisive. On vise quelque chose d'essentiel à travers la pose et l'instantané. Deux images complémentaires.




- page 48 ; rubrique "Entretien", "propos recueillis par Françoise Jallot". Photographies Caroline Feyt.
Comme dans le cas précédent, la photographie a elle-même une visée artistique et pas seulement descriptive. Il ne s'agit pas d'objectivité. Il s'agit de proposer une image capable d'évoquer chez le lecteur une impression dans le registre de l'équivalence aux émotions que cherche à susciter l'artiste. D'ailleurs, on peut noter, page 49, de la même Caroline Feyt, une photographie qui a sans doute pour intention de nous faire connaitre Tristan Macé, alors même qu'il n'est pas présent sur l'image. Si ce n'est lui, c'est son monde.






- page 50, rubrique "Pour l'avenir" ; page 51, rubrique "Pur plaisir". Les textes sont signés Caroline Linant. Les photographies ne sont pas signées : ont-elles été fournies par les accordéonistes ou faites par C. Linant qui figure parmi les photographes de la revue ?
Comment dire ? La photographie comme tableau d'honneur ! On retrouve ici quelque chose de la première photographie : "on y était", "c'est bien moi"... La photographie comme signe et comme preuve de reconnaissance sociale. Des photographies comme traces biographiques !





Ces photographies, dont je n'ai fait qu'esquisser une interprétation sommaire et volontairement subjective, ces photographies, c'est pour cela aussi que j'aime bien lire "Accordéon & accordéonistes".






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