mercredi 5 août - je finis par écouter france info...
Ma mère est une très vieille personne. Elle réside en maison de retraite à Nay, depuis... Depuis ? Je ne compte plus. Disons depuis plus de dix ans. D'abord seule, mon père l'a rejointe bientôt, puis il est mort en 2012. D'abord on aurait pu la croire insensible à cette disparition. Mais lentement, inexorablement, son état mental s'est détérioré. Son état physique aussi. Elle ne peut plus manger seule. De plus, elle vit depuis... Depuis des années, déjà chez elle, dans sa villa, elle vit en fauteuil roulant. Son monde physique est au plus un espace de 2 x 2 m.
Je vais lui rendre visite deux fois par semaine. C'est un devoir impérieux. Un impératif catégorique que je dois respecter malgré tout. Deux fois par semaine donc, Pau-Nay : 2 x 25 kilomètres aller- retour. Pendant les vacances, deux fois par semaine, Hossegor-Nay : 2 x 140 kilomètres aller-retour. C'est un peu long, mais ça ne se discute pas. D'autant plus que la durée du trajet, c'est l'assurance d'un moment de solitude : l'occasion de réfléchir un peu. Une occasion rare qui ne se refuse pas. Parfois, quand j'arrive, vers 14 heures, elle dort profondément. On me dit qu'on n'a pas pu la réveiller. Quand je repars, elle dort encore. Je lui écris un mot pour lui dire mon passage. Parfois elle est comme excitée : elle parle, elle parle encore et encore. Un flux de paroles inaudibles ou de propos incohérents. Une loghorrée qui semble venue de très loin dans son passé et qui se perd dans mes incompréhensions. Un flux de mots sans pause ni retours. Quand je la quitte, ma frustration est sans bornes. Tous mes efforts sont vains pour la comprendre et je me dis que peut-être il en est de même pour elle. D'où ce flot de paroles interminable.
Hier, mardi, quand je suis arrivé, elle somnolait. Elle semblait dormir profondément. Elle respirait faiblement mais sans efforts. Quand, tout à coup, elle a ouvert un œil, m'a vu et a souri. Contente de me voir. Je me suis approché, j'ai pris sa main déformée par l'arthrose dans la mienne et je l'ai caressée. Elle regardais sa main inerte dans la mienne. Comme apaisée et incrédule. Cela a duré plusieurs minutes. Tout à coup, nos regards se sont croisés. J'ai saisi alors que le plus souvent je ne percevais de son visage qu'une image globale et imprécise. Une image que je ne pouvais faire coïncider avec aucune image de notre passé. L'image d'une personne que je ne pouvais plus reconnaitre et tout à coup nos regards se sont croisés. J'en suis resté pétrifié. D'autant plus qu'alors elle m'a souri. Un sourire absent de son visage depuis... Depuis ? Depuis des mois. Quand je suis parti, à nouveau elle m'a souri... Elle m'a dit clairement :"A bientôt" et puis elle a ajouté encore plus clairement :"Je voudrais être maîtresse dans ma maison". Imaginez ma surprise. Je lui ai dit : "A bientôt" et j'ai refermé la porte, disparaissant à ses yeux. Comme elle disparaissait aux miens. Mes premiers pas dans le couloir furent, je l'avoue, difficiles. Une ankylose difficile à surmonter.
J'arrête là mon récit. Le continuer serait impudique et peut-être trop difficile à écrire. Trouver les mots, analyser les sentiments, dire la fulgurance de cet échange de regards entre nous... Pour l'heure, je n'en suis pas capable. Tout au plus puis-je dire que sur la route du retour vers Hossegor, contrairement à mon habitude, je n'ai pu écouter aucun des trois disques d'accordéon que j'avais emportés, je n'ai pu écouter France Culture, ni même France Inter... Tout juste France Info, que j'ai entendu comme un fond sonore, mais dont je n'ai rien écouté vraiment. Un flux sonore que j'ai perçu comme inaudible et incohérent tant mon esprit était encore obsédé par cet échange de regards si improbable entre ma mère et moi.
Voilà ! Et maintenant, en attendant le retour de la tribu qui est allée se baigner au lac... je dépose sur le lecteur de cds le magnifique album de Thomas Leleu :"In the Mood for Tuba". Preuve que la vie continue et que ça va mieux...
Je vais lui rendre visite deux fois par semaine. C'est un devoir impérieux. Un impératif catégorique que je dois respecter malgré tout. Deux fois par semaine donc, Pau-Nay : 2 x 25 kilomètres aller- retour. Pendant les vacances, deux fois par semaine, Hossegor-Nay : 2 x 140 kilomètres aller-retour. C'est un peu long, mais ça ne se discute pas. D'autant plus que la durée du trajet, c'est l'assurance d'un moment de solitude : l'occasion de réfléchir un peu. Une occasion rare qui ne se refuse pas. Parfois, quand j'arrive, vers 14 heures, elle dort profondément. On me dit qu'on n'a pas pu la réveiller. Quand je repars, elle dort encore. Je lui écris un mot pour lui dire mon passage. Parfois elle est comme excitée : elle parle, elle parle encore et encore. Un flux de paroles inaudibles ou de propos incohérents. Une loghorrée qui semble venue de très loin dans son passé et qui se perd dans mes incompréhensions. Un flux de mots sans pause ni retours. Quand je la quitte, ma frustration est sans bornes. Tous mes efforts sont vains pour la comprendre et je me dis que peut-être il en est de même pour elle. D'où ce flot de paroles interminable.
Hier, mardi, quand je suis arrivé, elle somnolait. Elle semblait dormir profondément. Elle respirait faiblement mais sans efforts. Quand, tout à coup, elle a ouvert un œil, m'a vu et a souri. Contente de me voir. Je me suis approché, j'ai pris sa main déformée par l'arthrose dans la mienne et je l'ai caressée. Elle regardais sa main inerte dans la mienne. Comme apaisée et incrédule. Cela a duré plusieurs minutes. Tout à coup, nos regards se sont croisés. J'ai saisi alors que le plus souvent je ne percevais de son visage qu'une image globale et imprécise. Une image que je ne pouvais faire coïncider avec aucune image de notre passé. L'image d'une personne que je ne pouvais plus reconnaitre et tout à coup nos regards se sont croisés. J'en suis resté pétrifié. D'autant plus qu'alors elle m'a souri. Un sourire absent de son visage depuis... Depuis ? Depuis des mois. Quand je suis parti, à nouveau elle m'a souri... Elle m'a dit clairement :"A bientôt" et puis elle a ajouté encore plus clairement :"Je voudrais être maîtresse dans ma maison". Imaginez ma surprise. Je lui ai dit : "A bientôt" et j'ai refermé la porte, disparaissant à ses yeux. Comme elle disparaissait aux miens. Mes premiers pas dans le couloir furent, je l'avoue, difficiles. Une ankylose difficile à surmonter.
J'arrête là mon récit. Le continuer serait impudique et peut-être trop difficile à écrire. Trouver les mots, analyser les sentiments, dire la fulgurance de cet échange de regards entre nous... Pour l'heure, je n'en suis pas capable. Tout au plus puis-je dire que sur la route du retour vers Hossegor, contrairement à mon habitude, je n'ai pu écouter aucun des trois disques d'accordéon que j'avais emportés, je n'ai pu écouter France Culture, ni même France Inter... Tout juste France Info, que j'ai entendu comme un fond sonore, mais dont je n'ai rien écouté vraiment. Un flux sonore que j'ai perçu comme inaudible et incohérent tant mon esprit était encore obsédé par cet échange de regards si improbable entre ma mère et moi.
Voilà ! Et maintenant, en attendant le retour de la tribu qui est allée se baigner au lac... je dépose sur le lecteur de cds le magnifique album de Thomas Leleu :"In the Mood for Tuba". Preuve que la vie continue et que ça va mieux...
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