mardi 31 mars 2009

mercredi 1er avril - la linea del sur et al.

Bon, il serait temps, ce me semble de faire le point. C’est d’autant plus urgent que les informations commencent sinon à s’effacer, du moins à perdre de leurs couleurs dans ma tête. La période, il est vrai, est un peu chaotique. Toujours quantité de problèmes à résoudre, liés à la santé de mes hyper-vieux parents, beaucoup de temps donc consommé à leur service, si j’ose dire. Par exemple, mon père, hospitalisé pour une dépression profonde, ne reviendra plus vivre dans sa villa. Eh bien, fermer une maison et constituer un dossier d’entrée en maison de retraite, c’est une activité à temps plein. Je ne devrais sans doute pas le dire à haute voix, mais l’autre nuit, pendant l’une de ces insomnies où je récapitule les tâches à faire pour l’une ou pour l’autre, deux mots ont surgi dans mon esprit ensommeillé, comme ça : « Charybde et Sylla ». L’inconscient a des mots à dire, c’est sûr ! C’est pourquoi nous avons décidé avec Françoise, dans la mesure du possible, de nous octroyer chaque semaine des moments de parenthèses où nous essayons de profiter au maximum de l’instant présent. Toujours les leçons de l’épicurisme, dont je vérifie chaque jour la pertinence et la justesse.

C’est ainsi que jeudi, 26 mars, nous sommes allés écouter le Renaud Garcia-Fons Quartet à Toulouse, à l’espace Croix-Baragnon, salle bleue. Et que le vendredi 27, nous sommes allés derechef écouter les mêmes au même endroit, à la même heure, 20h30. Jeudi, Nadja avait souhaité nous accompagner. Vendredi, « les petits » étaient partis à Cauterets faire la fermeture du ski avec une horde de cousins. D’un concert à l’autre, l’ordre des morceaux avait un peu changé. L’essentiel était constitué par les compositions de « La Linea del Sur » avec ici et là un ou deux morceaux d’albums antérieurs. Ces concerts s’inscrivaient dans le cadre de la tournée de présentation de l’album. Pour le premier concert, nous étions arrivés vers 20 heures ; nous nous étions installés au premier rang, à droite. Pour le second, nous étions arrivés à 19h45 ; nous nous étions installés au premier rang, à gauche. Le quartet est disposé sur scène de la manière suivante : à gauche pour le spectateur, David Venitucci à l’accordéon ; au centre gauche, Antonio « Kiko » Ruiz, guitare flamenca ; au centre droit Renaud Garcia-Fons, contrebasse à cinq cordes ; à droite, Pascal Rollando, percussions. Indépendamment des petites différences entre les deux concerts, j’ai pu vérifier à quel point un plus un ne fait pas deux. Le second concert est différent en effet du premier en ce que les morceaux sont déjà connus ; il est différent aussi parce que l’interprétation varie dans les nuances ou même dans tel ou tel moment d’improvisation ; bien plus, le premier devient différent de sa première écoute en ce que la seconde écoute modifie les perceptions initiales.

La plaquette de présentation du concert dit que le guitariste et le percussionniste sont tous deux issus du flamenco ; elle dit aussi que Renaud Garcia-Fons fait ressurgir les résonnances de la Méditerranée, du Sud de l’Andalousie, des Balkans, du monde arabe, de l’univers indien et de l’Amérique latine… tout en conservant les influences jazz, fusion, rock. Cette description me parait à la fois exacte et trop large. Telle qu’elle, elle pourrait en effet « habiller » bien d’autres disques qui se contentent d’accumuler des morceaux comme les pièces d’un collage. Cette espèce de spectre large est en effet l’une des caractéristiques principales de nombre d’œuvres musicales actuelles. En s’en tenant à la présentation, on ne rend pas justice, me semble-t-il, à Garcia-Fons en tant que compositeur ni à son quartet de ce que leur musique a de spécifique. Je ne saurais explicitement définir leur son, mais il est immédiatement reconnaissable. Leur signature sonore ne se confond avec aucune autre. Quant au monde qu’ils créent, je le perçois plutôt comme un espace méditerranéen imaginaire, un monde original issu d’une culture intimement assimilée. Peut-être même qu’il faudrait parler de travail d’appropriation des sources du pourtour méditerranéen. Oui, appropriation me parait juste, car qui dit appropriation, dit création personnelle au-delà des influences sous-jacentes.


Et puis, il y a David Venitucci à l’accordéon. Econome de ses gestes, appuyé contre un siège haut, il donne au quartet une épaisseur, une densité et si je puis dire un style qui nous a enchantés. Maintenant que je l’ai vu, de mes yeux vu, je sais que je l’entendrai d’un autre œil. Pas de gesticulation, pas d’expressionnisme. Pour moi, son attitude et son jeu, et le son qu’il introduit dans le quartet, tout cela relève d’un art classique. Un maximum d’effets esthétiques avec un minimum de moyens. Du grand art. Je compte bien lui consacrer un dossier de photonotes.







A ce sujet, une anecdote. Jeudi, j’avais emporté dans mon sac à dos cinq disques de Venitucci, outre « La Linea del Sur ». J’avais l’intention de les lui faire signer. Las, en fin de concert, Renaud Garcia-Fons invite le public à se procurer son dernier opus à la table « Harmonia Mundi » au fond de la salle, mais le quartet s’éclipse. Le lendemain, obstination oblige, j’ai emporté à nouveau mon lot de disques. Au cas où… Alors que nous nous étions installés devant la porte de la salle trois quart d’heure avant le début du concert, tout à coup une porte de service s’ouvre. « Daniel Venitucci ? ». « Oui, vous me connaissez ? ». « Certainement. Nous sommes venus principalement pour vous écouter et comme vous le voyez, nous étions là hier, nous revenons aujourd’hui. Nous vous suivons depuis longtemps, depuis « Cascade», votre album édité en 2003, je crois ». La conversation s’engage. « Auriez-vous le temps de mettre votre signature sur les disques que j’ai ici ? ». David Venitucci s’installe sur une marche, Françoise et moi à ses côtés. Un mot amical sur chaque couverture. Quand nous relevons la tête, une file d’attente s’est formée, étonnée de notre posture. David Venitucci nous quitte pour rejoindre ses collègues. Nous entamons une conversation avec notre voisin d’attente et sa fille. Ils sont amateurs d’accordéon. Nous découvrons que, sans nous connaître, nous étions présents à Junas, à Trentels, à plusieurs concerts toulousains… Nous nous donnons rendez-vous à Trentels en mai.


Samedi matin, nous sommes seuls à Toulouse. Nous décidons avant de rentrer à Pau d’aller visiter les collections de la fondation Bemberg, hôtel d’Assézat, entre la place Esquirol et le Pont Neuf. Un lieu magique. Des collections d’une richesse extraordinaire : des peintures, des sculptures, des meubles et des objets de toutes époques. Les salles ressemblent au palais d’un collectionneur du XIX ème siècle. Je reste sans voix devant un Cranach. Au dernier étage, une salle dédiée à Bonnard. De la lumière avant toute chose. Sur le coup de midi et demi, comme assommé par tant de beauté, je sens comme un petit coup de pompe hypoglycémique. Retour à la maison : Françoise fait un plat de pâtes. On l’engloutit en se rappelant tout ce qui nous a frappés et se promettant, dès que possible, de revenir en ces lieux, mais en ciblant quelques salles, en particulier celle de Bonnard que j’ai vue dans une sorte de scintillement qui n’était pas dû seulement à la facture du peintre.





« Les petits » étant à Cauterets et ne devant rentrer que dimanche, nous sommes chez eux comme dans un monde étrange, à la fois chez nous et pas vraiment chez nous. Nous décidons de profiter de cette situation d’entre-monde ou, si l’on veut, de bulle pour écouter en toute quiétude un disque que m’avait conseillé Patrick E. : « Pearl ». Jusqu’ici en effet je n’avais, malgré mon désir, pas eu le loisir de l’écouter convenablement. Nous avons tout notre temps, nous pouvons rejoindre Pau en fin d’après-midi. Nous écoutons enfin « Pearl » de a à z. Ce fut comme si nous l’écoutions pour la première fois. L’esprit libre de toute autre préoccupation, je perçois les huit titres comme autant de ballades et je suis frappé par leur structure : saxophone, accordéon, contrebasse, batterie. Encore un quartet où Steve Potts s’est entouré de Richard Galliano, de Jean-Jacques Avenel à la contrebasse et de B. Renaudin à la batterie. Je suis surpris, mais pas vraiment étonné, de constater comment l’environnement de sérénité de la maison « des petits », la délocalisation, si je puis dire, qu’elle nous offre, éclaire ce disque d’un jour nouveau. Bien sûr, je suis spontanément particulièrement attentif au jeu de Galliano. Une fois encore, je remarque à quel point il sait à la fois soutenir ses collègues et faire preuve de créativité quand son tour est venu d’en faire montre.






Dimanche est l’occasion de renouer avec les occupations habituelles : maison de retraite de Nay, levée du courrier à Baliros, hôpital de Pau. La routine quoi ! Un dimanche de printemps. Le soir, Nadja nous rassure : la troupe est bien rentrée de Cauterets. Charlotte et Camille sont excitées comme des poux. Camille a pris le tire-fesses toute seule, comme les grands. Charlotte a fait plusieurs fois une noire avec ses cousins. Et puis, ils ont mangé des crêpes et bu du chocolat.
Lundi, peu avant midi, dans la boite à lettres, un colis que j’attendais depuis plusieurs jours : « A deux », de Klaus Paier et Asja Valcic. Accordéon et violoncelle. J’avais l’intuition que ce disque serait beau. Il l’est en effet. Toutes les compositions sont de Paier. Comme pour le disque de Renaud Garcia-Fons, on pourrait dire qu’il s’agit d’une œuvre manifestant de la part du compositeur une culture intimement assimilée. On y retrouve quelque chose du tango, de la valse, des airs des Balkans et bien sûr du jazz, sans compter la musique de chambre. Le son du violoncelle ! Le temps est un peu frais. On ouvre la porte-fenêtre sur la terrasse avant. Le quartier est désert. On déjeune en écoutant, fort, et en découvrant ce nouvel album. Il ne déçoit pas mon intuition.


















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