jeudi 12 avril - bon pied, bon oeil
Hier, j'ai rendu visite à mes deux hypervieux parents. Comme d'habitude : deux fois par semaine. J'essaie de tenir le rythme. Je pense que c'est vital pour eux. Ils m'attendent pour l'aide que je leur apporte et, plus encore, pour l'attention que je porte à leurs plaintes et au récit de leurs misères, que les aide-soignants écoutent distraitement. Il faut dire que le temps leur est compté pour s'occuper des uns et des autres.
Bref ! D'habitude, mon père se plaint d'avoir mal au ventre, se désole de ne plus pouvoir se déplacer sans déambulateur. Même si, un jour sur deux, après le goûter, il oublie de le reprendre pour rejoindre sa chambre. Il se plaint de ses jambes alors qu'en fait c'est sa mémoire qui lui fait défaut. Et puis il retrouve le moral quand il voit que je n'ai oublié ni ses bonbons "régalade", ni ses barres de chocolat "kinder", ni ses biscuits "petit lu". Quant à ma mère, elle a un vrai génie pour ne voir que la face sombre de toute chose. Vissée dans son fauteuil roulant depuis des années, elle tyrannise tous ceux qui sont à son service, qui n'en font jamais assez, et surtout pas comme il faut, alors qu'elle ne peut rien faire. Dit-elle !
Mais, hier, quand je suis arrivé, j'ai remarqué qu'elle paraissait détendue et presque souriante. Enfin, presque, n'exagérons pas. Je prendrais presque mes désirs pour la réalité. Elle était allée la veille chez la coiffeuse. Elle était bien coiffée. Je le répète, c'est assez rare pour être signalé : elle semblait sereine.
Je lui dis bonjour, je l'embrasse, elle me dit :
- Tu te rappelles cette femme à côté de moi au goûter ?
- ...
- Elle est morte hier soir
- Ah !
- Et celle qui s'appelait Léa ?
- ...
- Elle est morte
- Et l'autre qui pleurait tout le temps ?
- ...
- Elle est morte, cette nuit. Quel remue-ménage...
- Et puis aussi soeur Marie, qui dormait toujours... Elle avait été enseignante en anglais...
- Elle est morte
- Qui te l'a dit ?
- Personne, une intuition... La loi des séries...
- Cinq sont morts cette semaine
- Bien dis donc, ça doit faire du vide
- (Elle répète, l'air rêveur) Cinq !
La télé est éteinte. Tout n'est que sieste, calme et silence. Une femme de ménage a fini de laver le sol du foyer. Mezza-voce, si j'ose dire, un air d'accordéon. Un cd tourne pour accompagner les résidents dans leurs rêveries. Un disque d'Aimable, "Ah ! Le petit vin blanc".
Ce foyer de gens assoupis, ce sol qui brille, cette hécatombe... Je regarde ma mère... Je ne rêve pas... Comment dire ? Elle a l'air rasséréné.
A quoi tient le bonheur...
Bref ! D'habitude, mon père se plaint d'avoir mal au ventre, se désole de ne plus pouvoir se déplacer sans déambulateur. Même si, un jour sur deux, après le goûter, il oublie de le reprendre pour rejoindre sa chambre. Il se plaint de ses jambes alors qu'en fait c'est sa mémoire qui lui fait défaut. Et puis il retrouve le moral quand il voit que je n'ai oublié ni ses bonbons "régalade", ni ses barres de chocolat "kinder", ni ses biscuits "petit lu". Quant à ma mère, elle a un vrai génie pour ne voir que la face sombre de toute chose. Vissée dans son fauteuil roulant depuis des années, elle tyrannise tous ceux qui sont à son service, qui n'en font jamais assez, et surtout pas comme il faut, alors qu'elle ne peut rien faire. Dit-elle !
Mais, hier, quand je suis arrivé, j'ai remarqué qu'elle paraissait détendue et presque souriante. Enfin, presque, n'exagérons pas. Je prendrais presque mes désirs pour la réalité. Elle était allée la veille chez la coiffeuse. Elle était bien coiffée. Je le répète, c'est assez rare pour être signalé : elle semblait sereine.
Je lui dis bonjour, je l'embrasse, elle me dit :
- Tu te rappelles cette femme à côté de moi au goûter ?
- ...
- Elle est morte hier soir
- Ah !
- Et celle qui s'appelait Léa ?
- ...
- Elle est morte
- Et l'autre qui pleurait tout le temps ?
- ...
- Elle est morte, cette nuit. Quel remue-ménage...
- Et puis aussi soeur Marie, qui dormait toujours... Elle avait été enseignante en anglais...
- Elle est morte
- Qui te l'a dit ?
- Personne, une intuition... La loi des séries...
- Cinq sont morts cette semaine
- Bien dis donc, ça doit faire du vide
- (Elle répète, l'air rêveur) Cinq !
La télé est éteinte. Tout n'est que sieste, calme et silence. Une femme de ménage a fini de laver le sol du foyer. Mezza-voce, si j'ose dire, un air d'accordéon. Un cd tourne pour accompagner les résidents dans leurs rêveries. Un disque d'Aimable, "Ah ! Le petit vin blanc".
Ce foyer de gens assoupis, ce sol qui brille, cette hécatombe... Je regarde ma mère... Je ne rêve pas... Comment dire ? Elle a l'air rasséréné.
A quoi tient le bonheur...
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