mercredi 19 juin - plaisir musical, analogies et intuitions
Je lis assez régulièrement la revue "Sciences Humaines", car j'y trouve toujours matière à réflexion. Et justement, dans les dernières livraisons, j'ai été très intéressé par trois articles, qui m'ont éclairé sur le plaisir que je prends à écouter de l'accordéon et de la musique en général.
1. - SH, n° 150, juillet 2013, page 13. La bonne musique, c'est comme un roman.
L'observation de l'activité cérébrale de mélomanes montre que le plaisir musical correspond à une excitation de certaines zones du cerveau (zones mésolimbiques) liées aux émotions. En poussant l'analyse, des chercheurs ont montré qu'au "frisson musical" éprouvé à l'écoute d'une chanson, d'un concerto, d'un air d'opéra ou d'un morceau particulier correspond l'excitation d'une zone précise du cerveau : "le noyau accumbens". Or, il se trouve que ce noyau, qui est lié à la fois aux émotions et à la mémoire, est aussi excité par d'autres activités impliquant la résolution d'une attente. La musique apparait donc comme une sorte d'attente, dont la résolution surprenante procure du plaisir. Une suite de sons sans aucun effet de surprise nous laissera probablement indifférent ; une musique trop inattendue ou imprévisible nous laissera déçus.
Pour ma part, je pense qu'il faudrait pousser l'analyse pour voir en quoi notre culture et nos expériences d'écoute musicales modèlent et mettent en forme nos attentes. Ainsi s'expliqueraient par exemples nos différences quant à nos attentes et donc quant à notre expérience du plaisir musical. Mais il me semble aussi que plutôt que de surprise il faudrait parler d'étonnement au moment où l'attente se dénoue et où la musique entendue réduit le suspense au sens d'attitude où l'on attend quelque chose, mais on ne sait exactement ni quoi, ni comment, ni quand...
2. - SH, n° 248, mai 2013, page 46 sqq. L'analogie est le cœur de la cognition.
Pendant longtemps l'analogie a été méprisée en tant que mode de raisonnement. On connait tous la formule "Comparaison n'est pas raison". Or, aujourd'hui, beaucoup de spécialistes de psychologie de la connaissance ou d'épistémologie découvrent que l'analogie est l'un des processus fondamentaux qui nous permet de créer des catégories mentales, de classer, d'imaginer, d'inventer et de donner du sens aux situations déjà connues ou nouvelles que nous rencontrons. Pour être convaincu de l'importance de l'analogie, il suffit de penser à tous nos raisonnements et à toutes nos actions du type :"c'est pareil et pas tout à fait pareil que...", "c'est comme... mais pas identique", "ça ressemble à...", "ça me fait penser à...", etc... L'analogie, c'est percevoir la même chose malgré des différences ou percevoir de la différence entre ce qui d'abord se présente comme la même chose. L'analogie, c'est ce qui permet de penser l'inconnu à partir du déjà connu par assimilation et de complexifier le déjà connu pour penser la nouveauté, l'inattendu, le pas encore perçu par accommodation.
3. - SH, n° 250, juillet 2013, pages 18-27. Focus : peut-on se fier à ses intuitions ?
La question se pose car notre tradition rationaliste a toujours privilégié le raisonnement logique, l'induction ou la déduction, par rapport à l'intuition. Mais aujourd'hui, on voit de mieux en mieux les vertus de l'intuition comme mode de connaissance et d'action, comme mode de compréhension et de prise de décisions. Ce qui m'intéresse beaucoup dans cette reconnaissance de l'intuition c'est l'idée qu'elle n'est pas absence de raisonnement ou de logique, mais court-circuit d'enchainements logiques et rationnels. C'est ainsi que l'intuition est le mode privilégié du fonctionnement intellectuel des experts. Pensons au jeu d'échecs. Inutile de mettre à plat tout le raisonnement implicite qui permet de "cadrer" une situation problématique. L'expert "voit" tout de suite quelle sera la conclusion. Inutile de perdre son temps. De toute façon, il n'a pas le temps. L'intuition, c'est pour ainsi dire "le flair" ou "le coup d'œil" qui procède de son expérience acquise. Ce n'est ni un don, ni une qualité inexplicable, c'est un raisonnement ultra-rapide parce qu'il court-circuite toutes ses articulations et toutes ses étapes. Même s'il pourrait les développer et les exhiber si besoin était...
Ces trois articles m'ont beaucoup intéressé, car ils m'aident à mieux comprendre ma propre expérience du plaisir musical, en particulier celui qui est lié à l'écoute de l'accordéon.
- Il me parait en effet évident, du moins pour moi, que le plaisir musical soit l'expression de la résolution d'une attente. Il y a du suspense dans le plaisir musical. C'est pourquoi l'absence de mélodie, qui me laisse sans attentes, ne déclenche jamais chez moi le moindre "frisson" (punctum), tout au plus un intérêt intellectuel (studium).
- D'autre part, toute mon expérience de l'écoute de l'accordéon s'est construite comme une mise en réseau des moments de plaisir que j'y ai trouvés. C'est dire que toute écoute d'un album nouveau ou d'un concert (en direct live) relève pour moi de l'analogie : ce que j'entends, ici et maintenant, me fait immédiatement penser à... tel autre album, tel autre concert. Toute perception est comparaison : "c'est comme...", "ça fait penser à...", "ça, c'est différent de...", etc...
- Enfin, cette expérience qui se traduit immédiatement en termes d'analogies, bien entendu je ne la développe pas, trop occupé que je suis à écouter : elle est faite d'impressions, de bouts de raisonnements, d'esquisse de pensées discursives, de fragments d'argumentation. Bref, c'est de l'intuition. C'est pourquoi, je serais assez tenté de proposer cette hypothèse, à savoir que le plaisir de l'écoute musicale est fondé sur la "fabrication" intuitive d'analogies entre ce qu'on entend, ici et maintenant, et ce que l'on a déjà entendu, et que finalement c'est sur des analogies et des intuitions que se fabrique la culture musicale de chacun d'entre nous.
- J'ai l'intuition, mon cher Watson, qu'on n'a pas fait le tour de la question...
- J'ai l'intuition, mon cher Sherlock, qu'on y reviendra...
1. - SH, n° 150, juillet 2013, page 13. La bonne musique, c'est comme un roman.
L'observation de l'activité cérébrale de mélomanes montre que le plaisir musical correspond à une excitation de certaines zones du cerveau (zones mésolimbiques) liées aux émotions. En poussant l'analyse, des chercheurs ont montré qu'au "frisson musical" éprouvé à l'écoute d'une chanson, d'un concerto, d'un air d'opéra ou d'un morceau particulier correspond l'excitation d'une zone précise du cerveau : "le noyau accumbens". Or, il se trouve que ce noyau, qui est lié à la fois aux émotions et à la mémoire, est aussi excité par d'autres activités impliquant la résolution d'une attente. La musique apparait donc comme une sorte d'attente, dont la résolution surprenante procure du plaisir. Une suite de sons sans aucun effet de surprise nous laissera probablement indifférent ; une musique trop inattendue ou imprévisible nous laissera déçus.
Pour ma part, je pense qu'il faudrait pousser l'analyse pour voir en quoi notre culture et nos expériences d'écoute musicales modèlent et mettent en forme nos attentes. Ainsi s'expliqueraient par exemples nos différences quant à nos attentes et donc quant à notre expérience du plaisir musical. Mais il me semble aussi que plutôt que de surprise il faudrait parler d'étonnement au moment où l'attente se dénoue et où la musique entendue réduit le suspense au sens d'attitude où l'on attend quelque chose, mais on ne sait exactement ni quoi, ni comment, ni quand...
2. - SH, n° 248, mai 2013, page 46 sqq. L'analogie est le cœur de la cognition.
Pendant longtemps l'analogie a été méprisée en tant que mode de raisonnement. On connait tous la formule "Comparaison n'est pas raison". Or, aujourd'hui, beaucoup de spécialistes de psychologie de la connaissance ou d'épistémologie découvrent que l'analogie est l'un des processus fondamentaux qui nous permet de créer des catégories mentales, de classer, d'imaginer, d'inventer et de donner du sens aux situations déjà connues ou nouvelles que nous rencontrons. Pour être convaincu de l'importance de l'analogie, il suffit de penser à tous nos raisonnements et à toutes nos actions du type :"c'est pareil et pas tout à fait pareil que...", "c'est comme... mais pas identique", "ça ressemble à...", "ça me fait penser à...", etc... L'analogie, c'est percevoir la même chose malgré des différences ou percevoir de la différence entre ce qui d'abord se présente comme la même chose. L'analogie, c'est ce qui permet de penser l'inconnu à partir du déjà connu par assimilation et de complexifier le déjà connu pour penser la nouveauté, l'inattendu, le pas encore perçu par accommodation.
3. - SH, n° 250, juillet 2013, pages 18-27. Focus : peut-on se fier à ses intuitions ?
La question se pose car notre tradition rationaliste a toujours privilégié le raisonnement logique, l'induction ou la déduction, par rapport à l'intuition. Mais aujourd'hui, on voit de mieux en mieux les vertus de l'intuition comme mode de connaissance et d'action, comme mode de compréhension et de prise de décisions. Ce qui m'intéresse beaucoup dans cette reconnaissance de l'intuition c'est l'idée qu'elle n'est pas absence de raisonnement ou de logique, mais court-circuit d'enchainements logiques et rationnels. C'est ainsi que l'intuition est le mode privilégié du fonctionnement intellectuel des experts. Pensons au jeu d'échecs. Inutile de mettre à plat tout le raisonnement implicite qui permet de "cadrer" une situation problématique. L'expert "voit" tout de suite quelle sera la conclusion. Inutile de perdre son temps. De toute façon, il n'a pas le temps. L'intuition, c'est pour ainsi dire "le flair" ou "le coup d'œil" qui procède de son expérience acquise. Ce n'est ni un don, ni une qualité inexplicable, c'est un raisonnement ultra-rapide parce qu'il court-circuite toutes ses articulations et toutes ses étapes. Même s'il pourrait les développer et les exhiber si besoin était...
Ces trois articles m'ont beaucoup intéressé, car ils m'aident à mieux comprendre ma propre expérience du plaisir musical, en particulier celui qui est lié à l'écoute de l'accordéon.
- Il me parait en effet évident, du moins pour moi, que le plaisir musical soit l'expression de la résolution d'une attente. Il y a du suspense dans le plaisir musical. C'est pourquoi l'absence de mélodie, qui me laisse sans attentes, ne déclenche jamais chez moi le moindre "frisson" (punctum), tout au plus un intérêt intellectuel (studium).
- D'autre part, toute mon expérience de l'écoute de l'accordéon s'est construite comme une mise en réseau des moments de plaisir que j'y ai trouvés. C'est dire que toute écoute d'un album nouveau ou d'un concert (en direct live) relève pour moi de l'analogie : ce que j'entends, ici et maintenant, me fait immédiatement penser à... tel autre album, tel autre concert. Toute perception est comparaison : "c'est comme...", "ça fait penser à...", "ça, c'est différent de...", etc...
- Enfin, cette expérience qui se traduit immédiatement en termes d'analogies, bien entendu je ne la développe pas, trop occupé que je suis à écouter : elle est faite d'impressions, de bouts de raisonnements, d'esquisse de pensées discursives, de fragments d'argumentation. Bref, c'est de l'intuition. C'est pourquoi, je serais assez tenté de proposer cette hypothèse, à savoir que le plaisir de l'écoute musicale est fondé sur la "fabrication" intuitive d'analogies entre ce qu'on entend, ici et maintenant, et ce que l'on a déjà entendu, et que finalement c'est sur des analogies et des intuitions que se fabrique la culture musicale de chacun d'entre nous.
- J'ai l'intuition, mon cher Watson, qu'on n'a pas fait le tour de la question...
- J'ai l'intuition, mon cher Sherlock, qu'on y reviendra...
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