dimanche 29 novembre - curriculum manifeste curriculum caché
Charlotte et Camille aiment l'école. Elles y réussissent et donc se passionnent pour les apprentissages qu'elles y réalisent. A moins qu'elles ne se passionnent pour les activités proposées parce qu'elles réussissent. Causalité circulaire diraient les systémiciens. Elles sont nées et se développent dans une famille d'enseignants. Elles connaissent pour ainsi dire naturellement les règles du jeu et les codes de l'école. Question d'habitus diraient certains sociologues.
Mais justement comme elles sont dans le milieu scolaire comme des poissons dans l'eau et comme je les crois capables d'un regard déjà critique sur le fonctionnement social, j'ai commencé pendant notre dernier séjour à Toulouse à leur transmettre quelques outils d'observation et d'analyse du monde réel. Qui n'est pas forcément celui que le discours scolaire et les instructions officielles sont censés préconiser.
Pour entreprendre ce travail d'outillage conceptuel, je me suis référé à deux notions du sociologue suisse Philippe Perrenoud, notions dont j'ai toujours admiré la pertinence. Il distingue en effet dans les apprentissages qu'un individu peut réaliser dans le cadre de l'école le curriculum manifeste et le curriculum caché. Le curriculum manifeste, c'est en fait le parcours des apprentissages visibles, disons pour faire court les apprentissages exhibés sur un curriculum vitae. Le curriculum caché, ce sont tous les apprentissages effectivement réalisés mais soit inconsciemment, soit en contrebande. Par exemple, pendant sa scolarité, on apprend à "se préparer des pompes" pour les examens. Autre exemple, on apprend à savoir se comporter avec tel professeur de telle manière, avec tel autre autrement. Ce sont des apprentissages sociaux fondamentaux, un bagage ou plus exactement une boite à outils sociaux qui vaut bien le bagage intellectuel ou estampillé scolaire.
Comme Charlotte et Camille me montraient leur bonne compréhension, en me donnant des exemples bien choisis vécus par elles-mêmes, comme par exemple la limite à ne pas dépasser quand le visage de telle maîtresse vire au rouge ou par exemple la méfiance qu'il faut avoir à l'égard de tel enfant voleur ou menteur, comme je vérifiais qu'elles étaient loin de l'innocence originelle, il m'a semblé possible d'aller plus loin.
Charlotte et Camille sont des enfants d'internet et de la société de communication. Elles savent bien que le flux d'informations est destiné à rendre impossible tout travail critique, tout travail de mémoire. Elles ont bien conscience que ce que l'on appelle communication est d'abord propagande, trucage, effets d'annonce et manipulations d'images. C'est une bonne base. A partir de là, je leur ai proposé trois exemples, fondés sur des faits qu'elles connaissaient, pour aiguiser leur sens de l'observation critique.
Premier exemple. Si je dis à un quidam dont le comportement ne me revient pas "casse-toi, pauvre con !", je risque quelques ennuis avec la police et avec la justice. Je peux le penser, mais il ne faut pas le dire. Une seule personne en effet peut proférer publiquement ce jugement personnel, la seule personne qui a droit à une impunité absolue en la matière, à savoir le président de la république. Elles ont convenu évidemment qu'il était peu probable qu'elles pourraient acquérir une telle impunité. En revanche, elles peuvent penser ce qu'elles veulent in petto.
Deuxième exemple. Si je dis à un autre quidam "dégage, sale arabe", je risque aussi quelques ennuis. Sauf si je suis un policier en uniforme. Elles ont paru surprises. J'explique : si vous êtes policier et si vous proférez un tel jugement à haute et intelligible voix, il vous suffira d'être syndiqué et donc d'avoir à votre service toute une armée d'avocats pour repartir du tribunal "plus blanc que blanc", si j'ose dire. Par contre, il vaut mieux ne pas être l'arabe insulté, car sa présence même est déjà un trouble à l'ordre public. Et je ne dis rien de résistance et insultes opposées à la force publique, opposées au représentant de la police qui a été recruté pour faire un usage en tout cas légitime de la force. Président de la république parait inaccessible ; policier est un objectif plus réaliste.
Troisième exemple. Représentant du peuple est une noble mission et une louable ambition. Mais Charlotte et Camille comprennent mal comment les ministres passent d'un ministère à l'autre suivant une sorte de jeu de chaises musicales. Elles croyaient qu'un ministre était nommé dans sa fonction en raison de ses compétences, qu'elles croyaient spécifiques. Eh non ! En revanche, je n'ai eu aucun mal à leur montrer sur trois exemples bien choisis que la vie politique, qu'un parcours politique, qu'un curriculum politique digne de ce nom, implique une maîtrise absolue de la trahison. La trahison comme habitus. Quant aux exemples, chacun les trouvera lui-même. Les cas sont si nombreux que je ne veux pas faire ici un palmarès.
Ces trois exemples m'ont paru suffisants pour convaincre Charlotte et Camille que la morale des hommes politiques qui nous gouvernent et des représentants institutionnels de l'ordre public n'est pas forcément celle qu'ils demandent à l'école d'enseigner.
Cette réflexion leur avait donné des envies de goûter : chocolat au lait, pastis landais (c'est un gâteau !), jus d'oranges, pommes découpées en fines tranches. Quant à moi, j'avais des envies d'air pur, de grand air :
- "François Castiello / Solo II"
"Flamenco Valse", "L'idole défunte", variation sur "Indifférence".
C'est comme si, ouvrant portes et fenêtres, j'avais purgé la maison de quelques miasmes.
Mais justement comme elles sont dans le milieu scolaire comme des poissons dans l'eau et comme je les crois capables d'un regard déjà critique sur le fonctionnement social, j'ai commencé pendant notre dernier séjour à Toulouse à leur transmettre quelques outils d'observation et d'analyse du monde réel. Qui n'est pas forcément celui que le discours scolaire et les instructions officielles sont censés préconiser.
Pour entreprendre ce travail d'outillage conceptuel, je me suis référé à deux notions du sociologue suisse Philippe Perrenoud, notions dont j'ai toujours admiré la pertinence. Il distingue en effet dans les apprentissages qu'un individu peut réaliser dans le cadre de l'école le curriculum manifeste et le curriculum caché. Le curriculum manifeste, c'est en fait le parcours des apprentissages visibles, disons pour faire court les apprentissages exhibés sur un curriculum vitae. Le curriculum caché, ce sont tous les apprentissages effectivement réalisés mais soit inconsciemment, soit en contrebande. Par exemple, pendant sa scolarité, on apprend à "se préparer des pompes" pour les examens. Autre exemple, on apprend à savoir se comporter avec tel professeur de telle manière, avec tel autre autrement. Ce sont des apprentissages sociaux fondamentaux, un bagage ou plus exactement une boite à outils sociaux qui vaut bien le bagage intellectuel ou estampillé scolaire.
Comme Charlotte et Camille me montraient leur bonne compréhension, en me donnant des exemples bien choisis vécus par elles-mêmes, comme par exemple la limite à ne pas dépasser quand le visage de telle maîtresse vire au rouge ou par exemple la méfiance qu'il faut avoir à l'égard de tel enfant voleur ou menteur, comme je vérifiais qu'elles étaient loin de l'innocence originelle, il m'a semblé possible d'aller plus loin.
Charlotte et Camille sont des enfants d'internet et de la société de communication. Elles savent bien que le flux d'informations est destiné à rendre impossible tout travail critique, tout travail de mémoire. Elles ont bien conscience que ce que l'on appelle communication est d'abord propagande, trucage, effets d'annonce et manipulations d'images. C'est une bonne base. A partir de là, je leur ai proposé trois exemples, fondés sur des faits qu'elles connaissaient, pour aiguiser leur sens de l'observation critique.
Premier exemple. Si je dis à un quidam dont le comportement ne me revient pas "casse-toi, pauvre con !", je risque quelques ennuis avec la police et avec la justice. Je peux le penser, mais il ne faut pas le dire. Une seule personne en effet peut proférer publiquement ce jugement personnel, la seule personne qui a droit à une impunité absolue en la matière, à savoir le président de la république. Elles ont convenu évidemment qu'il était peu probable qu'elles pourraient acquérir une telle impunité. En revanche, elles peuvent penser ce qu'elles veulent in petto.
Deuxième exemple. Si je dis à un autre quidam "dégage, sale arabe", je risque aussi quelques ennuis. Sauf si je suis un policier en uniforme. Elles ont paru surprises. J'explique : si vous êtes policier et si vous proférez un tel jugement à haute et intelligible voix, il vous suffira d'être syndiqué et donc d'avoir à votre service toute une armée d'avocats pour repartir du tribunal "plus blanc que blanc", si j'ose dire. Par contre, il vaut mieux ne pas être l'arabe insulté, car sa présence même est déjà un trouble à l'ordre public. Et je ne dis rien de résistance et insultes opposées à la force publique, opposées au représentant de la police qui a été recruté pour faire un usage en tout cas légitime de la force. Président de la république parait inaccessible ; policier est un objectif plus réaliste.
Troisième exemple. Représentant du peuple est une noble mission et une louable ambition. Mais Charlotte et Camille comprennent mal comment les ministres passent d'un ministère à l'autre suivant une sorte de jeu de chaises musicales. Elles croyaient qu'un ministre était nommé dans sa fonction en raison de ses compétences, qu'elles croyaient spécifiques. Eh non ! En revanche, je n'ai eu aucun mal à leur montrer sur trois exemples bien choisis que la vie politique, qu'un parcours politique, qu'un curriculum politique digne de ce nom, implique une maîtrise absolue de la trahison. La trahison comme habitus. Quant aux exemples, chacun les trouvera lui-même. Les cas sont si nombreux que je ne veux pas faire ici un palmarès.
Ces trois exemples m'ont paru suffisants pour convaincre Charlotte et Camille que la morale des hommes politiques qui nous gouvernent et des représentants institutionnels de l'ordre public n'est pas forcément celle qu'ils demandent à l'école d'enseigner.
Cette réflexion leur avait donné des envies de goûter : chocolat au lait, pastis landais (c'est un gâteau !), jus d'oranges, pommes découpées en fines tranches. Quant à moi, j'avais des envies d'air pur, de grand air :
- "François Castiello / Solo II"
"Flamenco Valse", "L'idole défunte", variation sur "Indifférence".
C'est comme si, ouvrant portes et fenêtres, j'avais purgé la maison de quelques miasmes.
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