jeudi 4 décembre 2008

vendredi 5 décembre - la part de l'analyse

Il y a quelques jours, dans le cadre du « Grand Journal » de Canal +, j’ai entendu Bernard Lavilliers dire que « la musique, ça ne s’analyse pas… la peinture aussi, peut-être… » et commenter peu après ces propos en précisant que le plaisir de la musique, le plaisir de l’écoute (il ne s’agissait pas ici de pratique instrumentale, mais seulement d’écoute), ne dépend pas de ce que l’on sait dans ce domaine, ni de connaissances sur le sujet. Un peu plus tard, il précisait encore sa pensée en disant que ce plaisir est d’abord affaire de chair de poule, ce qui ne pouvait que recevoir mon adhésion puisque j’ai moi-même dans ce blog défendu souvent cette idée que cette sensation est le critère ultime du plaisir de l’écoute.

Mais, alors même que spontanément je me sentais sur la même longueur d’ondes que Bernard Lavilliers, je me disais qu’après tout les choses n’étaient peut-être pas si simples. On reconnaît bien dans cette position l’expression de ce que l’on peut appeler la pensée inspirée. La musique serait affaire d’inspiration, de don, du côté de l’artiste et d’accord immédiat, de disponibilité, presque de don du côté de l’auditeur. Affaire d’inspiration et non de réflexion, encore moins de conceptualisation. Don artistique d’une part et symétriquement don esthétique d’autre part. Même s’il est vrai que la création comme la réception d’une œuvre d’art implique de laisser advenir quelque chose qui est irréductible à l’analyse, il me semble un peu trop simple d’exclure tout travail analytique de ces processus.

Moi qui ne connaît rien à la musique, je serais tenté évidemment d’adhérer à cette thèse, ne serait-ce que parce qu’elle apporte une justification à mes lacunes et à mon inculture. Mais, en pensant aux partitions, qui sont bien la forme analytique d’une œuvre musicale, je me dis que celui qui est capable de les lire doit bien trouver dans cette opération matière à un plaisir, autre que celui de l’écoute, qui m’est inaccessible. Si je m’en tiens à ce que je suis capable de faire, j’ai bien conscience que le fait de pouvoir situer tel album ou tel morceau dans le parcours d’un compositeur, que le fait de pouvoir inscrire une œuvre dans un courant, dans une histoire, dans un réseau, dans un style, que tout cela, qui est bien de l’analyse, augmente le plaisir qu’a pu me donner la simple écoute. L’expérience me montre ici que l’analyse, en tant que travail de décomposition d’un objet artistique et de mise à distance de mes impressions immédiates, multiplie les raisons d’y trouver du plaisir. En revanche, s’il est vrai que ce travail prolonge, approfondit, développe et multiplie le plaisir immédiat de la sensation, il est non moins vrai qu’il ne peut n’y en tenir lieu, ni s’y substituer, ni même le produire. De même, je doute que la simple maitrise technique suffise à un compositeur ou à un interprète pour susciter le plaisir esthétique chez ses auditeurs.

Pour aujourd’hui, je m’en tiens à ces quelques réflexions jetées en vrac pour en garder traces. Il faudra approfondir tout ça. Pour l’instant, je pencherais plutôt pour cette idée que ce n’est pas une approche analytique d’une œuvre qui suffit à en faire une source de plaisirs, que cette approche soit technicienne du côté de la composition ou de l’interprétation, qu’elle soit conceptuelle ou cognitive du côté des auditeurs. Mais j’ajouterais tout aussitôt qu’une approche analytique est très probablement source d’autres plaisirs quand elle vient se greffer sur le dynamisme de l’inspiration ou de la disponibilité, deux manières de laisser venir au monde une expression sans concepts. Expression infra-conceptuelle ? Supra-conceptuelle ? Peu importe, en tout cas, venue d’ailleurs… de l’inconscient peut-être ?

Bref, au terme provisoire de cette analyse un peu foutraque, je me dis que l’affirmation de Bernard Lavilliers, à la quelle spontanément j’adhérais, était sans doute trop simple. L’opposition frontale entre l’inspiration et l’analyse est simpliste. Le plaisir esthétique est un peu plus complexe.

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