mardi 16 décembre 2008

vendredi 19 décembre - un peu d'épistémologie

En explorant la notion de musicothérapie par Google, je suis tombé sur un article posté le 07/01/2006 sur le site ci-dessous. Article qui m’a paru si intéressant par sa problématique et par sa clarté que je prends la liberté de le citer in extenso et de le commenter un peu.

http://musicotherapie.blog4ever.com/blog/article-12640.html

L'écoute musicale en musicothérapie : argumentaire de la recherche

François-Xavier VRAIT
Directeur de l'Institut de Musicothérapie de Nantes Coordinateur des enseignements, diplôme universitaire de musicothérapie, faculté de médecine de Nantes, Université-Formation continue


L'histoire de la musicothérapie en France fut marquée dans les années 60-70 par un courant comportementaliste dominant. Probablement d'ailleurs sans que les promoteurs des premières recherches et pratiques à cette période ne l'aient véritablement souhaité, ni que ce soit même une préoccupation de leur part. Mais plus simplement parce que la méthodologie qui s'est imposée à ce moment-là reposait sur cette simple constatation : un patient triste ou déprimé est plus sensible à de la musique triste, et au contraire, un patient euphorique, hypomane par exemple, réagira plus facilement à une musique entrainante et rapide. Jacqueline Verdeau-Paillès écrivait alors :"Pour que le contact affectif se produise, il faut une résonance entre l'état affectif du sujet et la musique." Il s'agissait là d'un premier pré-supposé : chaque personne reçoit la musique en rapport avec ce qu'elle vit intérieurement. Cette constatation s'est immédiatement assortie d'un second pré-supposé : chaque extrait musical contient en lui-même un pouvoir particulier, de même que les associations musicales entre elles. Le musicothérapeute doit connaître les divers effets des musiques qu'il fait auditionner. Un fichier est alors constitué, classifiant des interprétations musicales en fonction des effets produits (traités statistiquement). La méthodologie est donc apparue évidente : donner à écouter une musique à travers laquelle le patient va se retrouver affectivement, puis, une suite de musiques permettant de modifier cet état affectif. Ce fut ce que Jacques Jost a appelé la "technique des trois œuvres" qui est devenue dès lors le prototype de toute musicothérapie.
Depuis lors la pratique clinique a fort heureusement évolué. Les travaux de recherche réalisés par les professionnels, notamment dans le sillage de l'Association Française de Musicothérapie, autour de Edith Lecourt, ont permis une prise de distance considérable avec cette première période.

Nous avons, et notamment à Nantes, délimité très précisément le terrain des "techniques psychomusicales" (utilisation des effets psycho-affectifs et psycho-physiologiques de la musique) et celui de la musicothérapie proprement dit. La place du patient, celle du thérapeute, celle de la musique y sont radicalement différentes. Il ne s'agit plus de se poser la question de savoir "ce que la musique fait au patient"; mais au contraire "ce que le patient fait de la musique" qui lui est donnée à entendre. C'est lui, le patient, qui est le sujet, qui est au centre, qui est le moteur même de son prope soin, dans une expérience musicale proposée dans un cadre thérapeutique. C'est en cela, et à cette condition, que la musicothérapie peut être entendue comme une art-thérapie; c'est aussi en cela qu'elle peut être comprise comme une forme de psychothérapie.
Il n'est donc plus question de connaître, de maitriser, de savoir quel est l'impact, quels sont les effets a priori de telle ou elle musique. Il s'agira davantage de s'interroger avec le patient sur son vécu sonore, sur sa manière de vivre cette musique, sur ce qu'il ressent, sur le sens que cela revêt pour lui dans son histoire, dans ses difficultés, etc. Il s'agira d'utiliser cette expérience musicale partagée comme moyen d'expression, de communication, de structuration identitaire, et d'analyse (nous rejoignons là la définition de la musicothérapie donnée par Edith Lecourt).
Cependant, ce changement radical de positionnement du thérapeute, centré sur le patient, n'a pas pour autant résolu la question du choix des musiques! Au contraire ! Il était plus simple de se référer à des effets escomptés, à un
pouvoir exercé par telle musique, sur le plan physiologique, de la détente corporelle, ou au niveau des sentiments, des affects, des émotions.
Qu'en est-il aujourd'hui, dans la pratique quotidienne des musicothérapeutes? Comment choisissent-ils de faire entendre tel CD, tel extrait musical? Qu'est-ce qui guide leur choix? Quelles questions se posent-ils au moment de sélectionner une œuvre? ...
Ce questionnement ne me semble pas vain, ni futile. Il a été relégué depuis quelques années, du fait de la précision conceptuelle au sujet de la musicothérapie, et donc de cette heureuse
avancée des pratiques cliniques, centrées aujourd'hui sur le patient.
Ce questionnement peut donc revenir, sereinement, nettoyé et dégagé du soupçon concernant une possible instrumentalisation de la musique à des fins comportementales. Mais il doit revenir, car la question reste posée. Elle se pose chaque jour aux professionnels, et mérite que l'on y réfléchisse ensemble.
MERCI DE VOTRE COLLABORATION.
Très cordialement, et confraternellement,

François-Xavier Vrait

Je trouve cet article particulièrement intéressant, d’abord en tant que tel en raison de sa problématique intrinsèque et de la clarté de son exposition, mais aussi par les échos que j’y perçois d’une réflexion épistémologique générale et incidemment de la réflexion pédagogique qui en découle.
Il me semble en effet retrouver dans cet article trois moments de la conception de la construction du savoir et de la logique des apprentissages que l’on peut en déduire. Le premier moment peut être défini comme celui du réalisme et de l’objectivité : le monde existe en soi et nos sensations ou nos perceptions sont comme imprimées en nous de l’extérieur par les objets qui nous entourent. Moment qui semble exprimer la conception du bon sens, mais moment mis en question par le fait d’expérience que les mêmes stimuli ne produisent pas chez tout le monde les mêmes effets. Des goûts et des couleurs… Le deuxième moment, qui est comme le résultat du dépassement critique du premier, peut alors être défini comme celui de la subjectivité et si l’on peut dire de l’idéalisme. Historiquement, on passe d’une pensée rationnelle classique au romantisme, à la pensée inspirée, à l’intuition créatrice, par opposition au respect scrupuleux des règles de l’art du premier moment. Mais ce second moment, qui est celui de la reconnaissance du sujet et de l’individualisme a pour conséquence quasi inéluctable de rendre la communication difficile, voire impossible. On s’exprime, on exprime son ressenti comme disent les psychologues, mais le discours se perd dans un flux d’expressions inouïes ou inaudibles. Pour dépasser les apories inhérentes à ces deux moments, il est donc nécessaire de prendre comme objet de réflexion non plus seulement les objets extérieurs, comme les sons des instruments, ni seulement l’intériorité des sujets écoutants, mais l’interaction entre les deux. On passe d’une perspective dichotomique, l’objet ou le sujet, à une perspective dialectique : quelle interaction entre ce morceau de musique (sa structure, sa forme, etc…) et tel ou tel sujet (sa psychologie, sa culture, son histoire, etc…) ? Explorer et essayer d’expliciter cette relation, d’abord au cas par cas, avant d’en tirer par induction logique et par tâtonnements successifs des règles générales, voilà une voie qui me parait de nature à avancer d’un même mouvement dans l’explication des effets de la musique et dans la compréhension de sa réception. Voilà, me semble-t-il, une piste de nature à nous aider à élucider un peu la question du plaisir ou non pris à l’écoute de tel ou tel morceau. Question qui ne se réduit ni à l’analyse formelle des œuvres pour en chercher les caractéristiques intrinsèques de beauté, ni à l’analyse du discours des sujets écoutants pour en déduire les traits caractéristiques de leur psychologie, mais qui implique de tenir ensemble ces deux pôles de la perception esthétique pour essayer d’en saisir l’interaction.
C’est parce qu’il me semblait suggérer une telle piste que cet article m’a paru digne d’être cité et que j’ai eu envie de le commenter un peu.

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