mercredi 19 février 2014

mercredi 19 février - illustration de l'approche théorique de l'écoute musicale

J'ai repris hier une réflexion que j'avais entreprise il y a déjà plusieurs années et pour cela je me suis référé à un article écrit en janvier 2007, qui est toujours pour moi d'actualité. J'y reprenais en particulier la liste des facteurs en interaction dans l'attitude d'écoute, autrement dit la liste des éléments dont l'interaction détermine la qualité de l'écoute, soit le plaisir plus ou moins intense qui en émane.

Une première analyse permet de dégager que la qualité de l'écoute (E) est fonction (f) des huit facteurs ci-dessous :

- E : qualité de l’écoute
- f : fonction de…

- Su : le sujet –auditeur
- O : l’objet – œuvre
- C : le compositeur
- I : l’interprète ou les interprètes
- P : le projet d’écoute de l’auditeur
- M : la chaine matérielle de l’enregistrement à la restitution
- Si : situation, c’est-à-dire conditions spatiales, temporelles et sociales de l’écoute
- A : climat affectif

Si maintenant l'on essaie de formaliser cette attitude, de la traduire en une formule synthétique, je pense qu’en première approximation et sous réserve du travail critique, qui reste à faire, on peut écrire la formule suivante :

E = f [(Su, P),(O,C,I),(M,Si)].A

Voyons maintenant comment on peut l'appliquer à l'analyse d'un cas concret et comment elle peut nous aider à mieux comprendre comment on fonctionne subjectivement quand on éprouve plus ou moins de plaisir à l'écoute, par exemple, d'un concert.

Soit l'exemple du récital donné il y a quelques semaines à Toulouse, à l'espace Lieu commun, par Pascal Contet. Récital dont je suis sorti avec un sentiment sinon de perfection du moins de plénitude. Sentiment que je vais maintenant essayer de comprendre. En premier lieu, je connais Pascal Contet pour avoir écouté plusieurs de ses disques, pour l'avoir écouté à l'occasion de plusieurs concerts et pour avoir discuté avec lui à plusieurs reprises de son approche de l'accordéon et de ses projets. Autant d'occasions qui ne me permettent pas de dire que je connais bien Pascal Contet, mais qui me permettent cependant de dire que je sais à quoi m'attendre quant à son jeu. Cette connaissance correspond à l'élément Su de la formule. Quant à l'élément O, il correspond en l'occurrence aux improvisations qui ont constitué le programme du récital et dont j'ai perçu l'enchainement comme un véritable système incluant de l'aléatoire dans son organisation. Aléatoires en effet les propositions demandées par Pascal aux auditeurs comme autant d'exercices de style. J'en viens maintenant aux deux éléments suivants : C, le compositeur, et I, l'interprète. En la circonstance en effet, un récital d'improvisations, ils se confondent : le compositeur interprète ses intentions sur le vif ; l'interprète traduit dans l'instant les improvisations qu'il compose. Ce court-circuit de deux rôles généralement disjoints "compositeur / interprète" est à l'évidence pour moi source de plaisir. Ce court-circuit en effet répondait tout à fait à mes attentes ou, si l'on veut, à mon projet d'écoute (P), à savoir essayer de saisir sur le vif la manière dont Pascal crée de la musique et comment, pour ce faire, il utilise son accordéon. Autre élément : M, la chaine matérielle de l'enregistrement à la restitution du son. En fait, et c'est paradoxal, mon plaisir a été d'autant plus vif que le récital a été donné en acoustique pur. Ni micro, ni baffles, ni autres prothèses entre l'instrument et les oreilles du public présent. Cette absence de matériel implique cependant, pour prendre valeur de qualité un certain nombre de conditions spatiales, temporelles et sociales, qui correspondent à ce que j'ai noté comme Si. L'acoustique pur implique par exemple une salle de taille convenable pour que le son ne s'y disperse pas. C'était le cas à l'espace Lieu commun, un espace nu aux murs sombres et bruts de décoffrage, mais où rien ne pouvait distraire l'attention de l'écoute. D'autre part, sous cette même catégorie Si, je place aussi des conditions temporelles, à savoir que les improvisations furent toutes d'une durée optimale, juste ce qu'il fallait pour maintenir les auditeurs dans l'attente et pour en saisir la structure et l'unité. Je note d'autant plus ce point qu'il n'est pas toujours respecté dans les improvisations où parfois les tâtonnements, vivants et inévitables, diluent l'attention et font perdre le fil à l'auditeur lambda. Quant aux conditions sociales, elles étaient bien présentes dans l'attitude des auditeurs, dont on avait senti, tout de suite, qu'ils faisaient tous partie de la même tribu des amateurs d'accordéon. Et pas n'importe lequel... Dernier élément enfin, noté A, le climat affectif. Disons que le récital avait lieu, faubourg Bonnefoy, à quelques centaines de mètres de la maison des "petits", que nous nous y sommes rendu à pieds, que nous avons profité de cette occasion pour rester trois jours à Toulouse et jouer notre rôle de Papou-Mamou auprès de Charlotte et Camille... et qu'avant et après le récital nous avons pu converser longuement avec Pascal d'une part, avec des copains d'autre part.

Voilà ! Tout ça est un peu rapide, j'en conviens. Mais c'est un premier essai pour "faire tourner le modèle". Premier essai qui suffit, je crois, à comprendre un peu ce jeu d'interactions entre plusieurs facteurs qui explique à quoi tient le plaisir de l'écoute et qui suggère, me semble-t-il, à quel point ce sentiment est fragile. A quel point il est complexe alors même qu'il apparait comme l'expression d'une impulsion spontanée, irréfléchie, "naturelle"...

A suivre...     

ps 1.- Sur le coup de 3 heures, cette nuit, à la faveur d'un petit moment d'insomnie, je me suis rendu compte que j'avais oublié dans mon analyse un élément pourtant fort important pour moi. C'est bien la preuve qu'elle est encore loin d'être complète. Cet élément oublié est d'autant plus intéressant qu'il se situe à l'intersection de deux des éléments que j'ai répertoriés dans la formule ci-dessus. Il s'agit de notre habitude d'arriver une heure avant le début des concerts pour trouver une place au premier rang et cela pour deux raisons différentes : d'une part, le désir de voir autant que d'écouter les musiciens, notamment s'il s'agit d'accordéonistes, d'autre part le désir de prendre des photographies, même si elles sont interdites. C'est ce que j'appelle prendre des photos à la volée, ce qui est quasiment impossible si l'on n'est pas au premier rang.

Or, justement, il se trouve que, pour ce récital de Pascal Contet, nous avons eu la chance - obstination récompensée !  - de pouvoir choisir notre place au premier rang et de pouvoir faire des photos en toute liberté. Deux éléments donc étaient réunis pour que ce moment se passe au mieux : Su, soit mon approche de l'événement en fonction de ma psychologie et Si, soit les conditions, en particulier spatiales, favorables à une bonne écoute, i.e. une écoute adéquate à mes attentes, à ce que j'attendais de ce récital.  Je note Su/Si cet élément qui désigne l'interaction entre moi-même en tant que sujet écoutant et les conditions, ici spatiales, de mon écoute.

ps 2.- Quelques mots pour expliciter le contenu de l'élément désigné par Su : le sujet-auditeur. Su désigne tout ce qui constitue l'identité propre du sujet qui écoute un concert, en direct ou enregistré, un disque, un morceau de musique, etc... En d'autres termes, Su  désigne le caractère, le tempérament, les goûts et les valeurs ou encore la culture du dit sujet. Toutes caractéristiques personnelles qui se sont construites et se construisent constamment par l'histoire même du sujet-auditeur. Certains spécialistes en sciences sociales parleraient, pour désigner ce mixte de traits de personnalité, de caractéristiques idiosyncrasiques et, si l'on se réfère à la pensée de Pierre Bourdieu, on pourrait parler d'habitus, i.e. de dispositions acquises nous permettant de penser notre environnement et de nous orienter, mais perçues comme naturelles, pour ne pas dire innées. En matière de goûts et de couleurs... ou de sons,  à chacun ses choix est-il de coutume de dire. Sous-entendu, ces choix relèvent de préférences qui ne s'expliquent pas : on ne peut que les constater. Pour ma part, je pense exactement le contraire, à savoir que nos choix en apparence les plus personnels et les plus spontanés s'expliquent toujours par notre parcours de vie. C'est bien pourquoi il est possible d'en prendre conscience, d'en reconstituer l'origine et le processus, et  donc de les faire évoluer. Ce dont j'ai observé que beaucoup de personnes doutent. Nature vs culture.  

A suivre...

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