lundi 1 octobre 2012

mardi 2 octobre - soledad plays soledad [1]

"Soledad plays Soledad", dernier opus de Soledad, sous label Soledad Productions / TYM Records, 2012. Je pose le disque sur le lecteur de cds. Premières mesures : le piano lumineux et percussif d'Alexander Gurning et l'accordéon, non moins lumineux, de Manu Comté. ""Rebound", 4:47,  d'Alexander Gurning... A mes pieds, sur le tapis, la pochette : le disque comme bel objet...Quelques lignes pour expliquer que cet album est la réalisation d'un rêve. Après avoir interprété Piazzolla, Stravinsky, Devreese ou Gismonti, besoin pour Soledad de créer sa propre musique. Un disque de maturité sans doute, en tout cas une preuve de confiance en soi. Le besoin de composer, le besoin de s'exprimer dans son propre langage. Les morceaux s'enchainent...





Le lecteur de cds s'arrête. Dernières notes d'un morceau d'Alexander Gurning : "Tio", 5:17. Je suis surpris. Je n'ai pas conscience du temps passé. Un moment de temps suspendu, un instant de plusieurs minutes, que je veux prolonger avant de retourner à des activités normales, si je puis dire. En cet instant, alors que mon esprit est plein de sensations en vrac, submergé par trop de sentiments, je reste immobile sur mon fauteuil. J'attends, sans faire aucun effort de conscience, et encore moins d'analyse, que des mots émergent de ce magma de plaisir. Je fais confiance à mon subconscient pour trouver les mots justes. Le temps de l'analyse viendra après pour comprendre ce qu'ils veulent dire et pourquoi ils ont surgi ainsi de ce fonds d'émotions que je viens d'éprouver.

Trois termes s'imposent ainsi à moi : flamboyant, puzzle et complexité. Je les trouve justes et pertinents. Ils expriment en effet la flamboyance de la musique de Soledad, cette sorte d'explosion sonore en quoi consiste chaque morceau ; mais aussi ils traduisent ce sentiment que l'on a affaire à une musique très écrite, très composée, que chaque morceau est un objet complexe, dont toutes les parties sont intimement liées comme dans un organisme vivant ; et la notion de puzzle correspond aussi assez bien, en tant qu'image, à cette notion de complexité. Bref ! Ces trois termes me conviennent pour dire ce qu'en première écoute j'ai éprouvé.

A partir de là, essayons de comprendre leur émergence et d'en esquisser une première analyse. Pour cela, je retiens des données objectives, d'une part, et d'autre part des données subjectives.

Parmi les données objectives, je note d'abord que, de toute évidence, les membres de Soledad ont une formation classique. On n'a pas leur maîtrise individuelle et collective sans une telle formation. Et aussi une solide culture forgée au fil de leurs albums, pas moins de six. Six opus où ils ont interprété Piazzolla, Stavinsky, Iglesias, Galliano, Lysight, Gismonti, Capelleti, Devreese, Surel... On ne joue pas la musique de ces compositeurs sans que cela laisse des traces culturelles.  A noter que le dernier disque comprend, à côté des compositions de tel ou tel membre de Soledad, des oeuvres de T. Jobim, de B. Gaquerre, de E. Gismonti et d'H. Pascoal. L'esprit d'ouverture est toujours là ; c'est une manière de vérifier que Soledad a un style propre, car il sait s'approprier ces créations en leur imprimant sa propre lecture;

Je rappelle ces six albums :

- "Soledad plays Piazzolla", 1998
- "Soledad", 2001
- "Soledad / Del Diablo", 2003
- "Soledad / Passage", 2006 [compositions de F. Devreese ; invité Ph. Catherine]
- "Soledad in concert", 2010
- "Soledad plays Soledad", 2012  [invitée : Maurane sur "Por toda a Minha Vida" de T. Jobim]

Parmi les données objectives, je note aussi une certaine continuité et même une certaine permanence de cette formation. Sur les six disques, on trouve en effet six fois respectivement à l'accordéon ou bandonéon Manu Comté et Alexander Gurning au piano ; trois fois N. Stevens et trois fois J.-F. Molard au violon ; A. Anzalone à la guitare pour le premier album et P. de Schuyter pour les cinq autres. La contrebasse, en revanche, est jouée par cinq musiciens différents. Les percussions enfin apparaissent avec M. Seba sur le dernier album et, du coup, le quintet devient un sextet. Notons au passage que Manu Comté joue du bandonéon sur quatre titres du dernier album et c'est un pur bonheur.

Ces données, par leur objectivité même, me semblent déjà de nature à faire comprendre pourquoi les termes de flamboyance, de complexité et de puzzle me sont venus spontanément à l'esprit. Flamboyance inspirée par les auteurs de référence ; complexité idem ; puzzle : la musique jouée et l'organisation du sextet lui-même.

Et les données subjectives ? Sans chercher à les ordonner de manière artificielle, je retiens celles-ci
- tension et intensité
- maîtrise technique et virtuosité
- culture, i.e. une vision très personnelle de la musique à créer, une vision qui manifeste un vrai travail d'appropriation de la tradition
- un monde qui prend ses distances avac le tango, mais qui en garde l'esprit : la passion excessive et maîtrisée, mise en forme
- un son spécifique, immédiatement identifiable
- une musique très contemporaine, avec la prise de risque qu'elle implique
- des morceaux très écrits, complexes, parfois jusqu'à l'abstraction
- des échos de musique de chambre, dans la tradition de Piazzolla
- de l'énergie encore et encore, oui... mais mise en forme esthétique
- etc...

Et puis une dernière observation. Tout au long de l'écoute des douze titres de l'album, j'ai eu cette impression que chaque morceau, au moment où je l'écoutais et le découvrais, devenait mon préféré devant le précédent. Au point que le 10. "Moonmist" m'a semblé encore "mieux" que le 9. "Chorinho Pra Ele", un morceau que pourtant j'affectionne, et que "Victor", le 11, a pris le pas sur "Moonmist" avant de s'effacer au profit du 12, "Tio". Mais ce n'était qu'un artefact, si j'ose dire, découlant de mon écoute suivant l'ordre des morceaux sur le cd. En effet, arrivé à la fin du cd, je l'ai remis sur le lecteur et alors voilà que le titre 1, "Rebound" m'a paru bien supérieur à ma première écoute et encore "mieux" que "Tio"... J'ai compris : les pièces de "Soledad plays Soledad" n'ont pas fini de m'enchanter. Comme pour les oignons dont chaque peau recouvre une peau plus profonde, chaque écoute ouvre sur une écoute plus profonde. Où l'on retrouve le bien fondé de la notion de complexité...

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