samedi 11 décembre 2010

samedi 11 décembre - écouter... pas si simple

Comme j'évoquais, parmi les derniers concerts auxquels nous avons assisté, ceux de Soledad et de Galliano à Saint Martin de Crau, ou encore celui de Motion Trio à Carmaux et de Galliano, toujours, à Odyssud, et comme j'associais à cette évocation un sentiment de plénitude, de plaisir sans taches, je me suis rappelé un texte que j'avais écrit en janvier 2007 dans mon blog "Le bistrot des accordéons", où, suivant mon inclination pour une certaine spéculation intellectuelle, j'essayais de dresser la liste des facteurs en interactions capables de rendre compte de ce sentiment intense et rare. Je n'ai pas trop de goût pour la pensée théorique ou théoricienne à proprement parler ; par contre j'avoue un penchant certain pour tout ce qui s'apparente à un travail de formalisation, de mise en forme et de représentation formelle d'un phénomène. C'est ma manière de comprendre le monde et de m'y orienter.

Dans ce texte donc, j'essayais d'analyser les facteurs en interactions dans l'attitude d'écoute, en situation de concert ou d'audition d'un disque par exemple, et d'en dresser la liste. Après examen critique de cette analyse, je ne vois guère ce que je pourrais ajouter ou retrancher. J'avais alors identifié huit éléments :

- Su : l'auditeur, le sujet écoutant (son histoire, sa culture, ses intérêts intellectuels, ses pratiques culturelles...)
- O : l'oeuvre, l'objet de l'écoute (ses qualités formelles, son style, son histoire...)
- C : le compositeur (son monde d'appartenance, sa notoriété...)
- I : l'interprète, un ou pluriel (style, monde d'appartenance, notoriété...)
- P : le projet d'écoute de l'auditeur (en clair :"Pourquoi est-il en situation d'écoute , ici et maintenant ?"
- M : la chaine matérielle de l'émission à la restitution (question pour un cd ; question pour un concert )
- Si : la situation, c'est-à-dire les conditions spatiales et temporelles de l'écoute (salle, public, son...)
- A : l'état affectif de l'auditeur, du sujet écoutant, au moment de l'écoute (l'état de son moral, son état d'âme

Si l'on désigne par E la qualité de l'écoute et le plaisir qui en découle, on peut alors résumer cette analyse dans la formule suivante :

E = f [( Su, P), (O, C, I), (M, Si)].A

Autrement dit, la qualité de l'écoute telle qu'elle est éprouvée comme plaisir, est fonction du sujet et en particulier de son projet ; de l'oeuvre, de son créateur et des interprètes qui lui donnent vie ; du matériel, qui aussi à sa manière lui donne vie, et de la situation au moment de l'écoute ; et aussi de l'état affectif ou, si l'on veut, du moral de l'écoutant, cet état traversant d'une certaine façon tous les autres facteurs et leur donnant en quelque sorte leur couleur ou leur tonalité. On pourrait parler en l'occurrence de modulation de l'ensemble.

Cette formule, sous son apparence abstraite, rend assez bien compte, me semble-t-il, de la complexité de l'attitude d'écoute. Elle suggère le jeu des relations nécessaire à sa bonne réalisation. Elle nous alerte et nous rend vigilant quant aux éléments que nous devons essayer de contrôler pour tirer le maximum de plaisir de cette situation. Disons, en termes simples, pour en profiter au mieux... Ce qui n'est pas si simple : ça ne va pas de soi.

Cette formule, disais-je, rend assez bien compte, me semble-t-il, de la complexité de l'attitude d'écoute quand on vise à en tirer le maximum de plaisir. Je ne parle pas ici de l'écoute au kilomètre ou de l'écoute paresseuse qui se contente d'assimiler la musique à un bruit de fond. Je ne parle pas de consommation. Je parle de plaisir esthétique. C'est en ce cas que je parle de situation et d'attitude complexe. Il s'agit d'interactions, non de simple addition ou sommation d'éléments. Ce qui signifie que le plaisir ne résulte pas d'une simple accumulation de facteurs. C'est ainsi par exemple, alors que tout est réuni pour profiter au mieux d'un concert, qu'un photographe agité et bruyant vient tout gâter ; c'est ainsi, alors que tout semble parfait, que le public reste amorphe ;  c'est ainsi, alors que le concert est, si l'on peut dire, objectivement de grande qualité, que le retard pris sur l'horaire annoncé a cassé le moral et découragé la patience des gens ; ou encore, les difficultés de réglages, dans l'avant concert, ont été telles que les musiciens ont perdu tout feu sacré. A l'inverse, alors que plusieurs facteurs sont en défaut, alors que le concert s'est déroulé cahin-caha, un dernier rappel vient tout sauver et l'on gardera un souvenir émerveillé de ce moment. De même, un titre suffit parfois à sauver un album de qualité incertaine.

Cette formule, en mettant en évidence la complexité du plaisir de l'écoute, montre aussi qu'il n'est jamais possible de decréter a priori ce que sera la qualité de telle oeuvre ou de tel concert. Et je suis toujours étonné d'entendre des gens, par exemple dans les files d'attente, bardés de certitudes a priori, dire par avance ce qui va se passer. Je pense à cette dame, d'un âge certain, au Grand Théâtre de Bordeaux, disant à sa voisine :"Le violon, le piano, le violoncelle, c'est bien ; mais l'accordéon, qu'est-ce qu'il vient faire ici ?". Or, il se trouve que l'accordéoniste, c'était Bruno Maurice, dont évidemment elle ignorait tout, et que l'accordéon, c'était son Appassionata. Bon ! Pour être honnête, à la fin du concert, la dame, qui applaudissait avec enthousiasme, a dit à sa voisine :" L'accordéon, c'était très bien ; ça va bien pour le tango... L'accordéoniste, il est jeune, mais il était très bien aussi..."        

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