mardi 19 janvier 2010

mercredi 20 janvier - de l'accompagnement

Il y a quelques jours, Jean-Marc L... m'avait proposé de me faire écouter le disque d'Allain Leprest et Richard Galliano, "Voce a mano", dont je connaissais l'existence, mais que je n'avais jamais eu l'occasion d'entendre. De manière générale, je ne suis pas très attiré par les disques que j'appelle "paroles et musique", les disques ou les concerts d'ailleurs où les musiciens accompagnent des chanteurs. C'est pourquoi je n'avais guère fait d'effort pour me procurer cet album. Mais, en l'occurrence, le conseil venant de Jean-Marc, l'expérience m'intéressait. Et, de fait, je ne regrette pas d'avoir découvert ce duo. Je note d'ailleurs que je suis en train d'évoluer. J'observe en effet que j'ai grand plaisir à écouter "Annick Cisaruk chante Barbara, accompagnée par David Venitucci" ou encore David Linx, accompagné par Marc Berthoumieux sur "No Jazz". Sans parler des concerts "Hommage à Barbara", les 4 et 5 décembre, à Bordeaux, avec Bruno Maurice à l'accordéon.

Rien de plus trivial que de constater que Richard Galliano est tout à fait exceptionnel sur "Voce a mano". Et pourtant, il faut le dire et le redire encore tant son talent donne à l'accompagnement sa pleine signification. A tel point que le plaisir que j'ai éprouvé à l'écouter m'a donné à réfléchir plus précisément à cette notion d'accompagnement, qui vient spontanément à l'esprit pour définir son rôle.

Cette notion d'accompagnement est très répandue dans le champ des représentations et des pratiques sociales. On peut presque parler d'omniprésence dès que l'on examine un peu attentivement ses usages sociaux. Mais justement, je me demande si sa signification, en se banalisant, ne s'est pas affadie, voire déplacée :

- dans le champ musical, par exemple, accompagner a une fonction apparemment accessoire ou seconde. En fait cette fonction est essentielle dans la mesure où elle soutient le rythme et où elle ne peut exister qu'à la condition d'être en harmonie et en consonance avec l'interprète principal, qui s'expose sur le devant de la scène, au premier plan. Accompagner, c'est communément accepter de s'effacer, de se placer au second plan.

- dans le champ scolaire ou de la formation, accompagner connote des activités et une attitude de soutien de la part de l'enseignant ou du formateur. L'accompagnateur est en quelque sorte un tuteur en mouvement. Accompagner implique le dialogue. Mais un dialogue qui souvent est moins un échange de personne à personne, qu'un cheminement où l'un avance à son pas, s'assurant au mieux qu'il est suivi par celui qu'il est censé accompagner... comme par son ombre.

- dans le domaine sportif, l'accompagnement est souvent confondu avec la fonction d'entraîneur ou de coach. En ce sens, la dimension d'attention personnalisée est présente, mais elle ne réduit pas pour autant l'inégalité ou le déséquilibre entre l'entraîneur et son protégé. Combien d'entraîneurs en effet qui se conçoivent comme le seul membre du couple "coach/athlète" capable de penser (fixer des objectifs, imaginer les moyens à mettre en oeuvre, planifier, organiser, etc...).

- ne parlons pas du champ des soins médicaux où l'accompagnement oscille sans cesse entre d'une part l'écoute attentive, le tact, l'empathie et, d'autre part, la distance, l'absence d'implication, un professionnalisme qui se réduit à des actes omnibus.

- de même, dans le champ juridique ou du travail social, où les acteurs oscillent sans fin entre une épuisante attention aux personnes écrasées par un système kafkaïen et le rôle de chiens de garde d'institutions aveugles et sourdes. Souvent, en ce domaine, l'écart est à son comble entre l'accompagnateur qui connait tous les arcanes de la machine administrative et l'accompagné qui doit jouer un jeu dont il ne connait pas les règles.

- je pourrais ajouter la conduite accompagnée. Dispositif fort astucieux, qui combine la double influence de formateurs patentés, agréés, experts et de formateurs occasionnels, même pas nécessairement chevronnés. Lesquels formateurs donnent à réfléchir sur les risques pris par l'accompagnant, puisque - on n'y pense pas assez - leur rôle les oblige à s'asseoir à la place du mort.

J'observe que, dans tous les cas, l'accompagnement désigne une relation inégale. Accompagner implique "naturellement" un accompagnant et un accompagné. Eh bien, si l'on y réfléchit, cette inégalité n'est pas si évidente qu'il y parait. Quand je propose à un copain... Au fait, a-t-on assez remarqué qu'accompagner et copain ont une racine commune ? Et qu'il s'agit en fait toujours de partager son pain. Quand je propose donc à un copain de m'accompagner, soit pour casser la croûte, soit pour faire un bout de chemin ensemble, il s'agit bien de marcher d'un même pas ou de manger en commun, pas l'un après l'autre. Mais il est vrai que la pensée commune aujourd'hui a du mal à penser l'échange entre personnes différentes sans immédiatement l'assimiler à quelques inégalités.

Est-ce que je me suis éloigné, chemin faisant, de "Voce a mano" et du rôle joué par Richard Galliano ? Pas du tout. Ce petit détour réflexif me donne en effet à penser que s'il accompagne Leprest, c'est au sens où tous les deux, avec des rôles différenciés, chacun à sa manière, mais ensemble, ils construisent une oeuvre commune. Finalement, au plaisir de l'écoute, je suis assez content d'avoir ajouté le plaisir, assez intellectuel, d'avoir clarifié, en réfléchissant à la posture de Galliano, cette notion d'accompagnement, aujourd'hui tellement galvaudé.

1 commentaires:

Blogger Unknown a dit...

J'ai entendu deux fois Richard Galliano évoquer le temps où , accompagant des grands , il se trouvait "en arrière "( et il s'émouvait d'être aujourd'hui sur le devant de la scène), je trouve qu'accompagnant Alain Le Prest, il n'est pas en arrière ou en soutien mais plutôt en duo comme dans une formation jazz, avec alternances, reprises,ensembles, ou comme dans un duo d'opéra...

19 janvier 2010 à 14:42  

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