jeudi 5 juillet - trois idées...
Première idée...
On était dans la file d'attente. On était venu écouter Pulcinella. Au détour de notre conversation avec un voisin, qui nous demande si nous connaissons ce quartet, nous lui répondons qu'on l'a écouté une dizaine de fois et qu'on compte bien ne pas bloquer ici notre compteur. Incrédulité de sa part. Il reste quelques instants perplexes puis ne peut s'empêcher de faire à haute voix cette réflexion : "... Mais, vous ne vous ennuyez pas ? Vous devez connaitre leurs morceaux par coeur."
Je lui réponds qu'on n'est pas obligé d'assister aux concerts de Pulcinella et que si on est à l'affut de leurs prestations, c'est en toute liberté et connaissance de cause. Plus tard, à la sortie du concert, je recroise mon interlocuteur et je lui dis : "Voyez, il y a toujours du nouveau avec Pulcinella. Par exemple, je n'avais jamais vu Ferdinand Doumerc pieds nus : ça change tout ". Il me regarde, encore incrédule. Il se demande si je ne me moque pas de lui. Moi aussi.
Ce qui est sérieux dans cette anecdote, c'est que je ne comprends pas comment on peut se satisfaire d'avoir écouté une ou deux fois une formation ou un musicien, comme s'il s'agissait de classer une fois pour toutes une connaissance dans sa tête. En fait, et c'est une question d'intentionnalité, donc de point de vue du récepteur, il faut vouloir percevoir l'inattendu dans le déjà-connu. Et, quel que soit ce déjà-connu, il est toujours possible de débusquer de l'inattendu. C'est ainsi que l'on apprend et donc que l'on évite de se scléroser ou de se croire dans un monde fini.
Deuxième idée...
Je me rappelle, à la sortie d'un concert, cette réflexion d'un spectateur à sa femme : "Ce n'est pas du tout ce que j'attendais ; ils ont beaucoup évolué depuis leur dernier disque. Franchement, ça m'a surpris... Je suis déçu". Réflexion qui donne à réfléchir. Ici, il est question d'une surprise qui dérange ; il est question d'un refus d'être dérangé. Comme il ne faut pas déplacer des livres sur des étagères et surtout pas les ouvrir au risque d'y trouver autre chose que ce que l'on sait déjà y être, de même chaque concert devrait reprendre le même programme, à l'identique. En fait, ce n'est pas ainsi que l'on apprend. C'est plutôt en dégustant avec gourmandise tout ce que l'on n'avait ni prévu, ni anticipé.
En relisant ces quelques lignes, écrites en écriture semi-automatique pour éviter de trop théoriser, je me rends compte que je m'inscris dans la perspective de Piaget, épistémologue et psychologue de l'apprentissage, qui identifiait deux opérations comme moteur des apprentissages :
- l'assimilation, qui consiste à rapporter la réalité à des schémas de pensée déjà en place ; qui est une manière de ramener le nouveau à du déjà-connu ;
- l'accommodation qui consiste à modifier et faire évoluer ses schémas de pensée pour pouvoir comprendre la réalité, qui se présente sous une forme inattendue, nouvelle et problématique.
J'appliquerais volontiers cette idée de Piaget à la pratique des concerts. Pour y prendre le maximum de plaisir, il faut en effet savoir et vouloir retrouver dans ce que l'on écoute live du déjà-connu et du familier, mais il faut aussi savoir et vouloir être dérangé, surpris, étonné, ce qui implique une attitude de vigilance sans failles. Question d'intentionnalité.
Troisième idée...
J'ai toujours pensé, dans ma vie antérieure de professeur et de formateur, que pour aider une personne à se former, pour l'accompagner dans ses apprentissages, il fallait d'abord renforcer ses points forts, et d'abord lui en faire prendre conscience, avant d'essayer de réduire ses points faibles ou ses défauts. Ce n'est pas une position très répandue parmi les enseignants et les formateurs. C'est regrettable, car renforcer les points forts chez quelque qui apprend ou est en cours de formation, c'est cultiver son originalité et lui donner la confiance nécessaire pour prendre le risque d'apprendre, c'est-à-dire aussi de se tromper. Mais après tout peut-être que pour beaucoup d'enseignants ou de formateur il s'agit moins de contribuer à la formation de personnes différentes que de former des clones interchangeables.
Cette idée fait partie de mes convictions les plus profondes et il se trouve qu'une anecdote bien connue concernant Astor Piazzolla vient me conforter dans mon parti pris. On raconte qu'il était venu à Paris pour se perfectionner comme compositeur et interprète et qu'il ambitionnait alors de devenir un "vrai" compositeur et pas un faiseur de tangos à la mode traditionnelle de son pays. Mais, ça ne collait pas. Jusqu'au jour où Nadja Boulanger l'ayant entendu jouer à sa façon lui avait conseillé de faire ce qu'il voulait et savait faire. Elle avait renforcé ses points forts qu'elle avait su discerner et mettre en évidence. C'est ainsi que Piazzolla est devenu Piazzolla et non un compositeur parmi d'autres de tango argentin.
Pour aujourd'hui, je m'en tiens à ces trois idées. Déjà qu'une par semaine, c'est beaucoup... Je me demande où et comment je suis allé en chercher trois. Trois d'un coup, comme le petit tailleur.
On était dans la file d'attente. On était venu écouter Pulcinella. Au détour de notre conversation avec un voisin, qui nous demande si nous connaissons ce quartet, nous lui répondons qu'on l'a écouté une dizaine de fois et qu'on compte bien ne pas bloquer ici notre compteur. Incrédulité de sa part. Il reste quelques instants perplexes puis ne peut s'empêcher de faire à haute voix cette réflexion : "... Mais, vous ne vous ennuyez pas ? Vous devez connaitre leurs morceaux par coeur."
Je lui réponds qu'on n'est pas obligé d'assister aux concerts de Pulcinella et que si on est à l'affut de leurs prestations, c'est en toute liberté et connaissance de cause. Plus tard, à la sortie du concert, je recroise mon interlocuteur et je lui dis : "Voyez, il y a toujours du nouveau avec Pulcinella. Par exemple, je n'avais jamais vu Ferdinand Doumerc pieds nus : ça change tout ". Il me regarde, encore incrédule. Il se demande si je ne me moque pas de lui. Moi aussi.
Ce qui est sérieux dans cette anecdote, c'est que je ne comprends pas comment on peut se satisfaire d'avoir écouté une ou deux fois une formation ou un musicien, comme s'il s'agissait de classer une fois pour toutes une connaissance dans sa tête. En fait, et c'est une question d'intentionnalité, donc de point de vue du récepteur, il faut vouloir percevoir l'inattendu dans le déjà-connu. Et, quel que soit ce déjà-connu, il est toujours possible de débusquer de l'inattendu. C'est ainsi que l'on apprend et donc que l'on évite de se scléroser ou de se croire dans un monde fini.
Deuxième idée...
Je me rappelle, à la sortie d'un concert, cette réflexion d'un spectateur à sa femme : "Ce n'est pas du tout ce que j'attendais ; ils ont beaucoup évolué depuis leur dernier disque. Franchement, ça m'a surpris... Je suis déçu". Réflexion qui donne à réfléchir. Ici, il est question d'une surprise qui dérange ; il est question d'un refus d'être dérangé. Comme il ne faut pas déplacer des livres sur des étagères et surtout pas les ouvrir au risque d'y trouver autre chose que ce que l'on sait déjà y être, de même chaque concert devrait reprendre le même programme, à l'identique. En fait, ce n'est pas ainsi que l'on apprend. C'est plutôt en dégustant avec gourmandise tout ce que l'on n'avait ni prévu, ni anticipé.
En relisant ces quelques lignes, écrites en écriture semi-automatique pour éviter de trop théoriser, je me rends compte que je m'inscris dans la perspective de Piaget, épistémologue et psychologue de l'apprentissage, qui identifiait deux opérations comme moteur des apprentissages :
- l'assimilation, qui consiste à rapporter la réalité à des schémas de pensée déjà en place ; qui est une manière de ramener le nouveau à du déjà-connu ;
- l'accommodation qui consiste à modifier et faire évoluer ses schémas de pensée pour pouvoir comprendre la réalité, qui se présente sous une forme inattendue, nouvelle et problématique.
J'appliquerais volontiers cette idée de Piaget à la pratique des concerts. Pour y prendre le maximum de plaisir, il faut en effet savoir et vouloir retrouver dans ce que l'on écoute live du déjà-connu et du familier, mais il faut aussi savoir et vouloir être dérangé, surpris, étonné, ce qui implique une attitude de vigilance sans failles. Question d'intentionnalité.
Troisième idée...
J'ai toujours pensé, dans ma vie antérieure de professeur et de formateur, que pour aider une personne à se former, pour l'accompagner dans ses apprentissages, il fallait d'abord renforcer ses points forts, et d'abord lui en faire prendre conscience, avant d'essayer de réduire ses points faibles ou ses défauts. Ce n'est pas une position très répandue parmi les enseignants et les formateurs. C'est regrettable, car renforcer les points forts chez quelque qui apprend ou est en cours de formation, c'est cultiver son originalité et lui donner la confiance nécessaire pour prendre le risque d'apprendre, c'est-à-dire aussi de se tromper. Mais après tout peut-être que pour beaucoup d'enseignants ou de formateur il s'agit moins de contribuer à la formation de personnes différentes que de former des clones interchangeables.
Cette idée fait partie de mes convictions les plus profondes et il se trouve qu'une anecdote bien connue concernant Astor Piazzolla vient me conforter dans mon parti pris. On raconte qu'il était venu à Paris pour se perfectionner comme compositeur et interprète et qu'il ambitionnait alors de devenir un "vrai" compositeur et pas un faiseur de tangos à la mode traditionnelle de son pays. Mais, ça ne collait pas. Jusqu'au jour où Nadja Boulanger l'ayant entendu jouer à sa façon lui avait conseillé de faire ce qu'il voulait et savait faire. Elle avait renforcé ses points forts qu'elle avait su discerner et mettre en évidence. C'est ainsi que Piazzolla est devenu Piazzolla et non un compositeur parmi d'autres de tango argentin.
Pour aujourd'hui, je m'en tiens à ces trois idées. Déjà qu'une par semaine, c'est beaucoup... Je me demande où et comment je suis allé en chercher trois. Trois d'un coup, comme le petit tailleur.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Abonnement Publier les commentaires [Atom]
<< Accueil