jeudi 27 mai - du tango
J'aime le tango. J'aime le tango traditionnel des grands orchestres typiques avec trois bandonéons et parfois plus, le tango de formations réduites à cinq ou sept membres, tirés à quatre épingles, avec un ou deux bandonéons, le tango langoureux où les bandonéons et les cordes font assaut de rêveries languides, mais aussi le tango bourré d'électronique et violent comme un orage d'été ou celui de Gotan Project. J'aime aussi le tango à fleur de peau de Piazzolla, un tango écrit et qui n'a pas pour vocation de faire danser.
Le tango m'est toujours apparu comme une musique en miroir. Je m'explique : en première approche, le tango, c'est l'expression de la passion amoureuse, tragique ou fatale ; l'amour et la mort sont comme les deux faces d'un Janus un peu gouape. Son rythme de serpent convulsif hésite toujours entre l'hypnose et la morsure instantanément mortelle. Le tango est comme un poison fatal et délicieux. André Breton écrivait que "la beauté sera convulsive ou ne sera pas". On croirait qu'il parle du tango. Mais, à l'écouter avec attention, on se rend compte que le tango se regarde danser. Il joue la passion, mais dans le même temps il cherche du regard un miroir où vérifier qu'il la joue bien. Il contrôle ses effets. C'est un passionné flegmatique. A l'instar de Monsieur Teste, il dit :"Je me vois me voyant et me voyant me voir". On croit qu'il vient de se donner la mort, mais, tel un Phénix, il surgit le sourire vaguement moqueur aux lèvres, la moustache impeccable et ses cheveux gominés noirs comme du jais formant contraste avec son front trop pâle. Il est vrai qu'animal de nuit, il ne connait pas le soleil.
Par rapport à ce tango, les compositions de Piazzolla me sont toujours apparues comme animées d'une passion janséniste. Son bandonéon est sans complaisance. La tension du funambule : une sérénité crispée, comme l'écrivait, je crois René Char. Et justement, en écoutant "Summit / Reunion Cumbre", enregistré par Piazzolla et Gerry Mulligan en 1974, il me semble que la spécificité de Piazzolla par rapport au tango traditionnel des cafés de Buenos Aires va bien au-delà de son travail d'écriture. Sa spécificité serait plutôt, selon moi, dans l'absence de cette distance ou de ce dispositif en miroir que j'analysais plus haut. Du coup, la tristesse plus ou moins feinte du tango laisse place à une désespérance profonde. C'est en cela, par cette authenticité, que Piazzolla me parait rompre avec le tango traditionnel, que j'appellerais, si j'osais, hypocrite.
Et pour le coup, pour ce qui est de la mélancolie cafardeuse, avec Mulligan, il a trouvé un complice idéal.
Bon ! "Summit" est un disque magnifique, mais pour ce qui est de vous coller une déprime carabinée, c'est un chef-d'oeuvre.
Le tango m'est toujours apparu comme une musique en miroir. Je m'explique : en première approche, le tango, c'est l'expression de la passion amoureuse, tragique ou fatale ; l'amour et la mort sont comme les deux faces d'un Janus un peu gouape. Son rythme de serpent convulsif hésite toujours entre l'hypnose et la morsure instantanément mortelle. Le tango est comme un poison fatal et délicieux. André Breton écrivait que "la beauté sera convulsive ou ne sera pas". On croirait qu'il parle du tango. Mais, à l'écouter avec attention, on se rend compte que le tango se regarde danser. Il joue la passion, mais dans le même temps il cherche du regard un miroir où vérifier qu'il la joue bien. Il contrôle ses effets. C'est un passionné flegmatique. A l'instar de Monsieur Teste, il dit :"Je me vois me voyant et me voyant me voir". On croit qu'il vient de se donner la mort, mais, tel un Phénix, il surgit le sourire vaguement moqueur aux lèvres, la moustache impeccable et ses cheveux gominés noirs comme du jais formant contraste avec son front trop pâle. Il est vrai qu'animal de nuit, il ne connait pas le soleil.
Par rapport à ce tango, les compositions de Piazzolla me sont toujours apparues comme animées d'une passion janséniste. Son bandonéon est sans complaisance. La tension du funambule : une sérénité crispée, comme l'écrivait, je crois René Char. Et justement, en écoutant "Summit / Reunion Cumbre", enregistré par Piazzolla et Gerry Mulligan en 1974, il me semble que la spécificité de Piazzolla par rapport au tango traditionnel des cafés de Buenos Aires va bien au-delà de son travail d'écriture. Sa spécificité serait plutôt, selon moi, dans l'absence de cette distance ou de ce dispositif en miroir que j'analysais plus haut. Du coup, la tristesse plus ou moins feinte du tango laisse place à une désespérance profonde. C'est en cela, par cette authenticité, que Piazzolla me parait rompre avec le tango traditionnel, que j'appellerais, si j'osais, hypocrite.
Et pour le coup, pour ce qui est de la mélancolie cafardeuse, avec Mulligan, il a trouvé un complice idéal.
Bon ! "Summit" est un disque magnifique, mais pour ce qui est de vous coller une déprime carabinée, c'est un chef-d'oeuvre.
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